L'arc de triomphe
machinalement. Sa langue était épaisse, son palais lui semblait ouaté. Il respirait avec difficulté et très lentement. « Je ne peux plus opérer, pensa-t-il. Pas avant que cette chose ne soit réglée. »
Veber badigeonna la plaie refermée.
« C’est fini. »
Eugénie rabaissa le pied de la table d’opération. La civière fut approchée, sur des roulettes parfaitement silencieuses.
« Cigarette ? offrit Veber.
– Non. Il faut que je parte. J’ai une affaire importante. Il n’y a plus rien à faire ?
– Non. »
Veber le considéra avec surprise.
« Pourquoi êtes-vous si pressé ? Vous ne voulez pas un vermouth-soda, quelque chose pour vous rafraîchir ?
– Rien, merci. Il faut que je me dépêche. Je ne croyais pas qu’il était si tard. Adieu, Veber. »
Il sortit rapidement. Un taxi, pensa-t-il, une fois dehors. Vite, un taxi ! Une Citroën s’approchait. Il y monta.
« À l’hôtel Prince-de-Galles. Vite ! »
Il faut que j’avertisse Veber qu’il devra se passer de moi pendant quelques jours, se dit-il. Pas moyen de faire autrement. Si je m’imagine, au beau milieu d’une opération, que Haake est en train de me téléphoner, je vais devenir fou.
Il paya le taxi et entra rapidement à l’hôtel. Il lui sembla que l’ascenseur montait avec une lenteur infinie. Il parcourut le long corridor et ouvrit la porte. Le téléphone. Il souleva le récepteur avec effort.
« Ici Van Horn. Y a-t-il eu des appels pour moi ?
– Un moment, monsieur. »
Ravic attendit. Puis la voix de la téléphoniste :
« Non, monsieur. Aucun appel.
– Merci. »
Dans l’après-midi, Morosow arriva.
« Tu as mangé ? s’informa-t-il.
– Non. J’ai préféré t’attendre. J’ai cru que nous pourrions manger ensemble ici.
– Quel idiot ! Pour attirer l’attention ? Tu sais bien qu’à Paris, on ne mange pas dans sa chambre, à moins d’être malade. Va manger quelque chose. Je monte la garde. Du reste, à cette heure-ci les gens mangent, ils ne téléphonent pas. L’usage sacré. Si par hasard, il appelait, je me ferai passer pour ton valet, je lui demanderai son numéro et je lui dirai que tu seras là dans une demi-heure. »
Ravic hésita d’abord, puis :
« Tu as raison, dit-il. Je serai de retour dans vingt minutes.
– Prends ton temps. Tu as assez attendu. Et calme-toi. Vas-tu au Fouquet’s ?
– Oui.
– Commande du vouvray 37. Je viens d’en prendre, il est fameux.
– Merci. »
Ravic descendit. Il traversa la rue et marcha le long de la terrasse. Puis il regarda dans le restaurant. Haake n’était pas là. Il s’assit devant une table vide de la terrasse du côté de l’avenue George-V, commanda du bœuf à la mode, une salade, un fromage de chèvre et une carafe de vouvray.
Tandis qu’il mangeait, il tenta de se maîtriser. Il se força à remarquer que le vin était léger et pétillant. Il mangea lentement, promena ses regards autour de lui. Il contempla le ciel au-dessus de l’Arc de Triomphe, comme un drapeau de soie bleue, et demanda une seconde tasse de café. Il goûta le breuvage amer et bienfaisant, alluma une cigarette, et déterminé à ne pas se presser, il demeura assis quelques minutes, regardant les passants. Puis il se leva, traversa la rue vers le Prince-de-Galles, et fut aussitôt repris par la fièvre.
« Comment as-tu trouvé le vouvray ? demanda Morosow.
– Bon. »
Morosow tira de sa poche un échiquier minuscule.
« On fait une partie ?
– Oui. »
Ils posèrent les pièces. Morosow s’assit sur une chaise, Ravic sur le canapé.
« Je ne crois pas pouvoir demeurer ici plus de trois ou quatre jours sans passeport, dit Ravic.
– Oh ! Dans les hôtels chics, on n’est pas tellement regardant.
– Ce serait ennuyeux, si on venait me demander mon passeport.
– En tout cas, ils n’en feront rien pour l’instant. Je me suis informé au George-V et au Ritz. Tu t’es fait passer pour un Américain ?
– Non. Pour un Hollandais d’Utrecht. Ça n’allait pas avec le nom allemand. C’est pourquoi j’ai donné Van Horn au lieu de von Horn. Haake ne remarquera pas la différence quand il téléphonera.
– Tu as bien fait. Et à propos, tu n’as pas pris une des chambres les moins chères. On ne te fera sûrement pas d’ennuis.
– Je l’espère.
– C’est dommage que tu aies pris le nom de Horn. J’aurais pu te procurer une carte
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