L'arc de triomphe
partout…
– Je sais…
– Et de plus, le jour baisse. Tu as pu distinguer son visage ? »
Ravic ne répondit pas.
« Écoute, fit Morosow en lui prenant le bras. Tu ne gagneras rien à parcourir les rues. Quand tu seras quelque part, tu te diras qu’il est ailleurs. Il vaut mieux retourner au Fouquet’s. C’est le meilleur endroit. De là tu pourras le guetter, et s’il repasse, tu le verras. »
Ils s’assirent à une table de la terrasse d’où ils pouvaient observer l’intersection des deux avenues. Ils demeurèrent silencieux pendant plusieurs minutes.
« Que comptes-tu faire si tu le rencontres ? » dit enfin Morosow.
Ravic fit un geste vague indiquant qu’il n’en savait rien.
« Il vaut mieux y réfléchir tout de suite. Inutile de risquer d’être pris par surprise et de commettre une folie. Surtout dans ta situation. Tu n’as pas envie de faire des années de prison ! »
Ravic continuait à le regarder sans rien dire. Morosow reprit :
« Si c’était moi, ça me serait égal. Mais comme il s’agit de toi, je m’inquiète. Enfin, qu’aurais-tu fait si tu avais réussi à le rejoindre, et en admettant toutefois que c’eût été lui ?
– Je ne sais pas, Boris. Je ne sais vraiment pas.
– Tu n’as pas d’arme sur toi ?
– Non.
– Alors, si tu t’étais jeté sur lui, vous auriez été immédiatement séparés. Tu serais en ce moment au poste de police, et lui s’en serait tiré avec un œil poché tout au plus. Tu t’en rends compte, n’est-ce pas ?
– -Oui, dit Ravic en continuant à observer la rue.
– Ce que tu aurais pu faire de mieux, aurait été de le pousser sous une voiture au carrefour. Mais ce n’est pas un moyen sûr. Il aurait pu s’en tirer avec quelques égratignures.
– Je ne le jetterai pas sous une voiture, dit Ravic sans détourner les yeux.
– Je sais. Ce n’est pas ce que je ferais non plus. »
Morosow demeura un moment silencieux.
« Ravic, si jamais tu le revois, il faut que tu saches d’avance ce que tu comptes faire. La chance ne se présentera pas deux fois, tu le sais.
– Oui, je sais.
– Si tu le revois, suis-le. Ne fais rien. Suis-le seulement. Découvre son adresse, c’est tout. Tu verras alors ce que tu dois faire. Mais ne fais pas d’imprudence. Tu m’entends ?
– Oui », dit Ravic, les yeux toujours rivés sur la foule.
Un vendeur de pistaches s’approcha de leur table. Puis vint un gosse qui vendait des souris mécaniques. Il les fit danser sur la table et grimper dans sa manche. Le violoniste revint à son tour. Il portait maintenant un chapeau, et jouait Parlez-moi d’amour. Une vieille femme à l’air syphilitique offrait des violettes. Morosow consulta sa montre.
« Huit heures. Il est inutile de rester ici plus longtemps. Il y a déjà deux heures que nous sommes là. Il ne reviendra plus maintenant.
– Pourquoi ne t’en vas-tu pas, Boris ? Pourquoi restes-tu ici avec moi ?
– Aucun rapport. Nous pouvons rester ici aussi longtemps qu’il nous plaît. Mais je ne veux pas que tu deviennes fou. C’est insensé d’attendre ici pendant des heures. Tu as autant de chance de le rencontrer n’importe où, maintenant. Tes chances seraient même plus grandes dans un restaurant, une boîte de nuit, ou une maison close.
– Je le sais, Boris », dit Ravic, les yeux vaguement fixés sur la rue. La circulation avait diminué. Morosow posa sa large main velue sur le bras de Ravic.
« Écoute-moi, Ravic. Si tu es destiné à le revoir, tu le reverras. Autrement, il n’y a rien à faire, même si tu l’attends pendant des années. Tu me comprends ? Aie l’œil ouvert. Sois prêt à tout. Mais il faut que tu continues à vivre tout comme si tu t’étais trompé. C’est la seule chose à faire. Sans quoi tu es foutu. J’ai passé par là, il y a près de vingt ans. Je passais mon temps à m’imaginer que je voyais un des meurtriers de mon père. Des hallucinations ! » Il vida son verre. « Des hallucinations maudites ! Et maintenant, je t’emmène. Allons manger quelque chose.
– Va dîner, Boris. Je te rejoindrai plus tard.
– Tu veux rester ici ?
– Un moment seulement. Et puis je retournerai à l’hôtel. J’ai quelque chose à y faire. »
Morosow observa Ravic. Il savait ce qu’il voulait faire à l’hôtel-. Il savait aussi que c’était la seule chose à faire. Cela regardait Ravic seul.
« C’est entendu, dit-il.
Weitere Kostenlose Bücher