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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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Marignan. Il gagna le Rond-Point, et revint jusqu’à l’Arc de Triomphe. Il enjamba les chaînes, et s’immobilisa devant le tombeau du Soldat inconnu. La petite flamme bleuâtre brillait dans l’ombre. Une couronne se desséchait, appuyée contre la pierre. Il traversa la place et entra dans le bistrot où il avait cru voir Haake la première fois. Quelques chauffeurs s’y trouvaient. Il s’assit près de la fenêtre, et commanda du café. Au-dehors, la rue était déserte, les chauffeurs parlaient d’Hitler. Ils se moquaient de lui, et lui prédisaient une fin brusque et terrible, s’il osait jamais s’approcher de la ligne Maginot.
     « Pourquoi suis-je ici ? se dit Ravic. Je pourrais être n’importe où. Les chances seraient les mêmes dans n’importe quel quartier de Paris. » Il regarda sa montre. Trois heures. Trop tard, Haake, en admettant que ce fût lui, ne serait sûrement plus dans les rues à cette heure.
    Une prostituée passa devant le bistrot • et par la vitre jeta un coup d’œil à l’intérieur. « Si elle revient, je la suis », décida-t-il. Elle repassa, mais il demeura où il était. « Si elle passe encore une fois, j’irai. Ça voudra dire que Haake n’est pas à Paris. » La fille revint, et lui adressa un signe de tête. Il ne bougea pas.
    Le garçon commença à empiler les chaises sur les tables. Les chauffeurs quittèrent le bistrot. Le garçon éteignit la lampe au-dessus du comptoir. Une obscurité fumeuse envahit la salle. Ravic se ressaisit.
    « L’addition », demanda-t-il.
     
    Le vent s’était levé et il faisait plus froid. Les nuages traversaient le ciel à la course. Ravic s’arrêta devant l’hôtel de Jeanne. Elle n’aimait pas entrer dans une pièce obscure. Elle avait laissé la lumière parce qu’elle n’allait pas chez lui ce soir. Subitement, il ne se comprenait plus. Pourquoi ne voulait-il pas la voir ? Le souvenir de l’autre femme s’était évanoui depuis longtemps ; le souvenir de sa mort seul lui était resté.
    Et l’autre chose ? En quoi cela la concernait-il ? En quoi cela le concernait-il lui même ? N’était-il pas fou de poursuivre une illusion, d’obéir à un réflexe de mémoire confuse, à une réaction instinctive ? N’avait-il pas tort de remuer à plaisir la boue des années enfuies qu’une ressemblance maudite avait tirées du passé ? De laisser cet abcès cicatrisé s’ouvrir de nouveau et suppurer ? De compromettre tout ce qu’il avait édifié en lui-même, sa vie différente de ce qu’elle avait été, sa vie et celle du seul être qui lui était proche ? Il fallait briser avec le passé, il se l’était répété mille fois. Autrement comment s’échapper ? Comment survivre ?
    Il sentit fondre, lentement, la boule de plomb qui pesait sur son cœur. Il respira profondément dans le vent qui remplissait la rue. Il regarda de nouveau la fenêtre éclairée. Il existait donc quelqu’un qui tenait à lui, pour qui il était important, une femme dont le visage s’altérait quand elle le regardait. Et il avait été sur le point de sacrifier tout cela à une monstrueuse illusion, à une arrogance dédaigneuse qu’avait fait naître la soif de vengeance…
    Que voulait-il ? À quoi résistait-il ? Pour quelle fin cherchait-il à se conserver ? La vie s’offrait à lui et il élevait des objections. Non pas parce qu’elle n’offrait pas assez, mais parce qu’elle offrait trop. Était-il nécessaire que l’orage sanglant de son passé se précipitât sur lui pour qu’il se rendît compte ? Il remua les épaules. « Le cœur ! songea-t-il. Le cœur ! Comme il s’ouvre ! Comme il palpite ! » La fenêtre éclairée dans la nuit, reflet d’une vie qui s’était donnée à lui passionnément, d’un cœur qui attendait, ouvert, que le sien s’ouvrît aussi. La flamme de l’amour… le feu Saint-Elme de la tendresse… l’éclair brûlant et vif du sang… on le connaissait, on l’avait connu, on croyait le connaître si bien que jamais plus on n’en aurait le cerveau envahi !
    Et un soir, devant la fenêtre éclairée d’un hôtel de troisième ordre, il s’élevait de l’asphalte comme une vapeur. On le sentait comme s’il fût venu de l’autre bout du monde, des îles bleues où poussaient les cocotiers, ou du pays des sources tropicales, comme s’il eût filtré à travers les océans, les récifs de corail, la lave des volcans, comme s’il se fût

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