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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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arrêté en août 1933. Pendant deux semaines il avait caché chez lui deux amis que la Gestapo recherchait et il les avait ensuite aidés à s’évader. L’un d’eux lui avait sauvé la vie en 1917, à Bixschoote dans les Flandres, et l’avait ramené sous le feu des mitrailleuses, après l’avoir trouvé dans le no man’s land, perdant lentement son sang. L’autre était un écrivain israélite qu’il connaissait depuis des années. On l’avait arrêté pour le questionner ; pour découvrir la direction qu’avaient prise les deux fugitifs, quels papiers ils avaient, et tout ce qui était susceptible de les aider dans leur fuite. C’est Haake qui l’avait questionné. Après s’être évanoui une première fois, Ravic avait tenté de tuer Haake avec son propre revolver ; une tentative impuissante contre quatre hommes forts et armés. Pendant trois jours, au milieu de l’inconscience, des lents retours à la raison, de la douleur frénétique, avait flotté le sourire visqueux de Haake. Pendant trois jours, les mêmes questions. Pendant trois jours, le même corps couvert de plaies, presque incapable de souffrir davantage. Et puis, l’après-midi de ce troisième jour, on avait amené Sybil. Elle ne savait rien. On l’avait montré à Sybil pour tenter d’obtenir d’elle une confession. Elle était belle, éprise de luxe, elle avait toujours vécu une vie superficielle. Il s’était attendu à la voir s’écrouler, hurler. Au lieu de cela elle s’était retournée contre ses bourreaux. Elle leur avait lancé des paroles mortelles. Mortelles pour elle, elle le savait. Haake avait cessé de sourire. Il avait mis fin à l’interrogatoire. Le lendemain, il avait expliqué à Ravic ce qu’allait être le sort de Sybil dans le camp de concentration pour femmes, s’il n’avouait pas. Ravic n’avait pas répondu. Haake lui avait alors expliqué ce qui arriverait à Sybil avant le camp de concentration ; Ravic n’avait rien dit parce qu’il n’y avait rien à dire. Il avait tenté de convaincre Haake que Sybil ne savait rien. Il lui avait affirmé qu’il ne la connaissait que superficiellement. Qu’elle n’avait été autre chose dans sa vie qu’une jolie poupée. Qu’il ne lui aurait jamais rien confié. Tout cela était vrai, pourtant. Et Haake s’était contenté de sourire. Trois jours plus tard, Sybil était morte. Elle s’était pendue au camp de concentration. Le lendemain, un des fugitifs avait été ramené. C’était l’écrivain juif. Il avait mis une semaine à mourir sous les questions de Haake. Puis, ç’avait été le camp de concentration pour Ravic. L’hôpital… et enfin l’évasion.
    La lune montait au-dessus de l’Arc de Triomphe. Le long des Champs-Élysées, les réverbères clignotaient dans le vent. Les tables reflétaient les lumières nocturnes. « Tout cela était irréel, se disait Ravic. Irréelles, la lune, la nuit, la rue, et cette heure qui me touche de son aile, étrange et familière comme si je l’avais déjà vécue, dans une autre vie, dans un autre monde… irréels, ces souvenirs d’années écoulées, submergées, mortes et vivantes à la fois, qui luisent dans mon cerveau comme d’un éclat phosphorescent, qui se sont pétrifiés dans l’attente… irréel le sang qui coule dans l’obscurité de mes veines, sans repos, à une température toujours égale, ce fluide au goût salé, ces quatre litres d’énergie secrète et d’élan… irréel, ce réflexe, cet entrepôt invisible, la mémoire. Des étoiles se levant sans cesse, les unes brillantes, les autres sanglantes comme Mars au-dessus de la rue de Berri, d’autres luisant d’un éclat plus sombre, pleines de souillures… le ciel de la mémoire sous lequel le présent poursuit sans relâche sa vie confuse. »
    La flamme verte de la vengeance. La ville avec son clair de lune et le bruit de ses voitures. Les rangées de maisons qui s’étendent sans fin. Les fenêtres innombrables, derrière lesquelles se joue le jeu définitif du destin. Les battements de cœur d’un million d’hommes, semblables à la pulsation incessante d’un gigantesque moteur, avançant lentement, lentement, sur le chemin de la vie, chaque battement le rapprochant un peu plus de l’anéantissement.
    Il se leva, les Champs-Élysées s’étaient vidés peu à peu. Seules quelques filles rôdaient encore. Il marcha sans but, traversant des rues, la rue Pierre-Charron, la rue Marbeuf, la rue de

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