L'arc de triomphe
impétueusement précipité dans l’obscurité de Paris, dans la rue Poncelet, apportant soudain l’odeur des hibiscus et des mimosas dans une nuit remplie de vengeance et de passé, ressuscitant irrésistiblement l’émotion…
Le Schéhérazade était bondé de monde. Jeanne était assise à une table avec des gens. Elle vit Ravic tout de suite. Il demeura debout près de la porte. La salle était remplie de fumée et de musique. Elle dit quelques mots à ses compagnons, quitta la table, et vint rapidement vers lui.
« Ravic !…
– On a encore besoin de toi ici ?
– Pourquoi me demandes-tu ça ?
– Parce que je veux t’emmener avec moi.
– Mais tu m’as dit…
– Tout ça c’est fini. Faut-il que tu restes encore ?
– Non. Je vais simplement leur dire que je pars.
– Fais vite. Je t’attends dehors dans un taxi.
– C’est bien. »
Puis, avec une hésitation :
« Ravic… Tu es venu à cause de moi ?
– Oui, répondit-il à voix basse, tandis que leurs visages se rapprochaient. À cause de toi, Jeanne. Seulement à cause de toi. »
Le taxi roulait rue de Liège.
« Qu’y avait-il, Ravic ?
– Rien.
– Je craignais…
– N’y pense plus, ce n’était rien. »
Elle le regarda en disant :
« J’ai cru que tu ne reviendrais plus jamais. »
Ravic se pencha sur elle et vit qu’elle tremblait.
« Jeanne, ne pense à rien, et ne pose pas des questions. Vois-tu les lumières de la rue, et les milliers d’annonces lumineuses ? Nous existons dans un siècle mourant, alors que la ville palpite de vie. Nous sommes arrachés de tout, et il ne nous reste plus que nos cœurs. J’étais perdu dans la lune, et je suis revenu à toi, parce que tu es la vie. Ne demande rien de plus. Tes cheveux cachent plus de secrets que mille questions. Nous avons devant nous la nuit, quelques heures… une éternité, jusqu’à ce que le matin vienne faire trembler les carreaux de nos fenêtres. Que les êtres s’aiment, tout est là. La chose la plus merveilleuse et la plus ordinaire du monde, c’est-ce que j’ai senti ce soir, lorsque la nuit est venue soudain comme un buisson fleuri, lorsque le vent était chargé d’un parfum de fraise. Sans l’amour, l’homme n’est qu’un mort en permission, un morceau de papier avec quelques dates et un nom. Autant être mort !… »
L’éclat des réverbères pénétrait par la vitre du taxi comme le faisceau d’un phare qui éclaire la cabine d’un navire. Les yeux de Jeanne étaient tour à tour sombres et transparents dans son visage pâle.
« Nous ne mourrons pas, murmura-t-elle, serrée dans les bras de Ravic.
– Non. Pas nous. Le temps seulement. Le temps maudit. Il meurt toujours, tandis que nous vivons toujours. Quand tu t’éveilles, c’est le printemps, et quand tu t’endors, c’est l’automne, et entre les deux, des milliers de fois, c’est l’hiver et l’été. Et lorsque des êtres s’aiment assez, ils sont aussi indestructibles que le battement d’un cœur, ou que la pluie et le vent. Avec chaque jour qui vient, nous sommes des conquérants, mon amour, et avec chaque année qui s’écoule nous sommes vaincus. Mais qu’importe cela ? Et qui voudrait le comprendre ? C’est l’heure qui est la vie… c’est le moment qui est le plus près de l’éternité… Tes yeux brillent, des poussières d’étoiles s’envolent vers l’infini, les dieux peuvent vieillir, mais ta bouche est jeune, l’énigme frissonne entre nous, le Toi et le Moi, l’Appel et la Réponse, dans les soirs et les crépuscules. C’est l’extase de tous les amants, depuis les rugissements lointains de la luxure brutale jusqu’aux orages dorés, depuis l’origine reculée des amibes jusqu’à Ruth et à Esther, à Hélène et à Aspasie, aux madones bleues des églises de village, depuis la jungle des animaux jusqu’à toi… à toi… »
Elle demeurait immobile dans ses bras, si complètement abandonnée qu’elle ne semblait plus être là. Il se pencha vers elle et parla sans fin… Il sentait comme une ombre qui regardait par-dessus son épaule, une ombre qui parlait sans émettre un son, et qui souriait. Il se pencha davantage vers elle, il la sentit se tendre encore plus vers lui. Et soudain, l’ombre disparut…
CHAPITRE XIII
« U N scandale, dit la femme aux émeraudes qui était assise en face de Kate Hegstrœm. Un scandale unique, ma chère ! » Ses yeux
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