L'arc de triomphe
Merveilleux. »
Ravic était à l’Osiris, dans la salle où il examinait les femmes.
« Reste-t-il encore quelqu’un ? demanda-t-il.
– Oui, dit Léonie. Yvonne. C’est la dernière.
– Fais-la entrer. Tu n’as rien, Léonie. »
Yvonne avait vingt-cinq ans, blonde, plutôt grasse, le nez épaté, les extrémités potelées qui semblent être une des caractéristiques de beaucoup de prostituées. Elle entra en balançant les hanches d’un air satisfait, et releva le chiffon de soie qui lui servait de vêtement.
« Ici, dit Ravic. Par ici. »
Silencieusement Yvonne se tourna et exhiba sa croupe rebondie. Elle était criblée de marques bleues. Évidemment, quelqu’un lui avait administré une sérieuse raclée.
« J’espère que ton client t’a bien payée », dit Ravic.
Yvonne secoua négativement la tête.
« Pas un centime, docteur. C’était pas un client.
– Pour le plaisir, alors ? Je ne savais pas que tu aimais cela. »
De nouveau elle secoua la tête, un sourire mystérieux sur la figure. Ravic se rendit compte qu’elle s’amusait beaucoup de la situation. Elle se donnait un air important.
« J’suis pas masochiste, dit-elle, fière de connaître le mot.
– Alors quoi ? Une bataille ? »
Yvonne attendit encore une seconde avant de répondre :
« L’amour, docteur. »
Elle s’étira voluptueusement.
« Il est jaloux ?
– Oui, dit Yvonne radieuse.
– Ça te fait très mal ?
– Des choses comme ça ne font pas mal. »
Elle s’assit avec précaution.
« Vous savez, docteur, que tout d’abord M me Rolande ne voulait pas me laisser travailler. Une heure seulement, que je lui ai demandé. Une heure, et vous allez voir ! Et maintenant, avec mes marques bleues, j’ai plus de succès que jamais !
– Comment cela ?
– Sais pas. Paraît qu’y en a que ça les excite. En trois jours, j’ai fait deux cent cinquante francs d’extra. Croyez-vous que ça va se voir encore longtemps ?
– Au moins deux ou trois semaines. »
Yvonne fit claquer sa langue.
« Chouette alors ! J’pourrai m’offrir un manteau de fourrure. Des peaux parfaitement assorties, s’il vous plaît !
– Si cela disparaît trop tôt, tu as toujours la ressource de te faire donner une nouvelle raclée par ton ami.
– Il ne voudrait pas, dit Yvonne. Il est pas comme ça. I’le fait pas par calcul, vous savez. Il le fait par passion. Quand ça le prend. Mais autrement, rien à faire, même si je lui demandais à genoux.
– Il a du caractère, dit Ravic. Ça va, Yvonne, tu n’as rien. »
Elle se leva.
« Je retourne au travail. Y a un vieux qui m’attend en bas. Un vieux avec une barbe pointue. Il vient toujours après la visite. Il n’veut pas courir de risque. J’lui ai montré mes marques. Il en est fou. Chez lui c’est sa femme qui mène, alors, j’suppose qu’il s’imagine qu’il lui en fait autant. »
Elle éclata de rire.
« Vous n’trouvez pas que les gens sont drôles, docteur ? »
Elle sortit de la pièce, très satisfaite d’elle-même.
Ravic mit de côté les instruments dont il venait de se servir, et s’approcha de la fenêtre. Le crépuscule commençait à jeter son voile gris sur la ville. Les arbres qui poussaient à travers l’asphalte ressemblaient vaguement à des bras de suppliciés, à des bras et à des mains comme il en avait déjà vu dans des tranchées. Il se pencha au-dehors. La minute diaphane entre le jour et la nuit. L’heure de l’amour dans les hôtels borgnes, pour ceux qui, le soir, présideraient dignement à la table familiale. L’heure de l’apéritif. Le moment où la terre entière semblait s’arrêter pour respirer ; où les femmes italiennes dans les plaines de la Lombardie commençaient déjà à dire felicissima notte. L’heure du désespoir et des rêves.
Il referma la fenêtre. La pièce devint subitement très sombre. Il semblait que des ombres fussent entrées, et se fussent tapies dans les recoins, avec leur silence plein d’évocations. Sur la table la bouteille de cognac que Rolande avait laissée luisait comme une topaze polie. Ravic demeura encore un moment immobile, absorbé. Puis il descendit.
La musique jouait à tue-tête, et la grande salle était brillamment éclairée. Les filles étaient assises çà et là sur des coussins, vêtues de leurs courtes tuniques de soie. Elles avaient toutes les seins nus. Les clients aimaient voir la
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