L'archer démoniaque

moitié nu de Maîtresse Malvoisin, un peu plus haut.
    — La veuve du mire royal ?
    — Elle-même. Le pauvre Simon enquêtait sur ce que vous avez décelé à Ashdown, et peut-être même l’avait-il trouvé. Quel gâchis ! C’était un bon espion et un clerc habile, mais il ne vous valait pas, n’est-ce pas, Hugh ?
    — Vous ne vous en servirez pas, Sire ?
    Le magistrat jeta un regard en biais à Ranulf, assis, crispé et l’oeil aux aguets. Depuis leur départ d’Ashdown et leur voyage jusqu’à Eltham, Ranulf était obsédé par l’idée d’amener la prieure devant la justice.
    — Que voulez-vous dire, je ne m’en servirai pas ?
    — Monseigneur, le traité !
    Le roi eut un grand sourire.
    — Ah, vous faites allusion au mariage de mon fils bien-aimé avec la princesse Isabelle !
    — Sire, vous n’ignorez pas que ce traité de mariage a le soutien de la papauté, sans parler de celui de votre Conseil et de celui des Communes qui se sont récemment réunies au Parlement. Si vous le rompez, la guerre éclatera d’ici un mois et la flotte française apportera son aide aux rebelles écossais.
    Corbett observa son roi. Édouard ne se tenait plus de joie bien que le magistrat, qui avait siégé avec le Conseil et négocié cet accord qui devait amener une paix durable, sût à quel point le monarque cultivait sa haine contre Philippe.
    — Le seigneur Amaury de Craon, dit Corbett, est dehors, dans votre antichambre. Il insiste pour retourner en France. Il vous faut nommer le lord qui conduira la délégation anglaise.
    — Sait-il que je sais tout ? badina le souverain.
    — Il s’en doute peut-être, Sire, mais quelle preuve avons-vous ? Une note dans un livre d’heures et le cadavre d’un mire italien ?
    Édouard reposa son gobelet et se frotta les mains comme un enfant qui vient de gagner au jeu.
    — Sous peu, Corbett, Craon saura que je sais ce que Philippe sait, mais ce qu’il ne saura pas, c’est ce que je sais réellement et où j’ai dissimulé la preuve, expliqua le roi en riant de la construction de sa phrase.
    — Quelle preuve, Monseigneur ? intervint Ranulf.
    Le roi eut un petit rire.
    — Justement, Ranulf ! Ils ne cesseront de se demander quelle preuve je détiens en vérité !
    Il leva les mains pour indiquer que l’entretien avait pris fin.
    — Je ne crois pas que vous devriez assister, Sir Hugh, à ma rencontre avec Craon.
    Corbett et Ranulf se levèrent et saluèrent. Édouard fit courir ses doigts sur la table.
    — Je m’interroge parfois, Corbett, dit-il d’un ton pensif : jouer n’est-il pas plus important que gagner ? J’ai rencontré Jeanne, l’épouse de Philippe, et me suis souvent demandé combien de temps il la supporterait. Que recherche-t-il ? Épouser une princesse flamande ? J’y mettrai alors bon ordre. Et les Templiers ? Ce sera bientôt la Noël. Il serait peut-être temps que j’invite le grand maître, Jacques de Molay, en Angleterre ?
    Le monarque claqua des mains.
    — Oh, Corbett, Ranulf, je crois que nous célébrerons la Toussaint à Leighton !
    Le magistrat sourit pour cacher la terrible inquiétude qu’il éprouvait à l’idée de recevoir Édouard et ses amis. Ils traîneraient partout dans le manoir et feraient voler l’harmonie en éclats.
    — Puis-je faire quelque chose pour vous ?
    — Quand l’enfant de Lady Maeve sera né, répondit en hâte Corbett qui savait que le souverain appréciait ce type de requête, accepteriez-vous de le tenir sur les fonts baptismaux ?
    — Accordé, dit le roi en levant la main. Et avant que vous ne partiez, Corbett, j’ai un cadeau pour Lady Maeve. Un collier.
    Son regard s’adoucit.
    — Porté jadis par mon Aliénor.
    Il ouvrit la large escarcelle pendue à son ceinturon et jeta une bourse de pièces d’or sur la table.
    — Et voici pour toi, mon clerc de la Cire verte !
    Ranulf ne la ramassa pas.
    — Allez ! Allez !
    Édouard fronça les sourcils.
    — Refuses-tu les présents d’un prince ? Que veux-tu d’autre, clerc de la Cire verte ? De l’avancement ? Un évêché ?
    — La mort de Lady Madeleine !
    Ranulf avait craché les mots sans tenir compte du sifflement de désapprobation de Corbett.
    — Prends l’argent ! ordonna le monarque. Prends l’argent, mon garçon !
    Ranulf s’exécuta.
    — Je ne peux t’apporter la tête de Lady Madeleine sur un plateau.
    Le roi tira son poignard en en serrant fermement le