L'archer démoniaque

main.
    — Avant votre départ pour Douvres, je veux engager par serment mes propos aujourd’hui.
    — Sur les Évangiles ? s’enquit Craon.
    — Oui, sur les Évangiles, confirma Édouard.
    Il prit la coupe, se souvint que Craon avait craché dedans et la reposa sur la table.
    — Ce soir, Amaury, vous pouvez loger céans et vous assisterez au banquet. J’ai un choeur spécial à qui j’ai appris un bel hymne. Le rôt sera savoureux et nous nous jurerons amitié éternelle.
    — Et Lady Madeleine Fitzalan ? insista Craon.
    — Oh, oui, vous m’écrirez pour m’offrir vos condoléances à propos de la mort de son frère et en me demandant...
    Le visage de Craon se fendit d’un sourire.
    — ... que Lady Madeleine nous accompagne en France afin de recevoir les consolations personnelles de mon maître ?
    — Amaury ! Amaury !
    Le souverain se pencha et attrapa les mains de son interlocuteur qu’il écrasa avec méchanceté.
    — J’aime nos petites discussions !
    — Un voyage sur la Manche, observa Craon d’un ton songeur tout en frottant ses doigts endoloris, peut être plein de dangers.
    — S’il arrivait quelque chose à Lady Madeleine, répliqua Édouard, je ne tiendrais ni vous ni votre maître pour responsable.
    Craon s’inclina.
    — Dans ce cas, Votre Majesté...
    Il repoussa sa chaire et se leva. Le roi l’imita, s’approcha et l’enlaça dans une étreinte d’ours. Ils échangèrent un baiser de paix. L’ambassadeur français, satisfait, y fut sensible, mais se raidit quand l’accolade du souverain se fit désagréable.
    — Mais Corbett, chuchota Édouard à l’oreille de son interlocuteur, Corbett est un frère pour moi. S’il lui arrivait quelque chose que je puisse vous imputer, à vous ou à votre maître à Paris, que Dieu m’en soit témoin, mon cher Amaury, il ne vous resterait plus que quelques instants à vivre !
    Il relâcha l’émissaire et recula d’un pas.
    — Nous nous sommes bien compris, seigneur de Craon ?
    Ce dernier exécuta un salut des plus ostentatoires.
    — En vue d’une paix commune, Sire, mon maître et moi vous comprenons totalement !

 
    NOTE DE L’AUTEUR
    Ce roman-là est, bien sûr, une oeuvre de fiction, mais il contient de nombreuses vérités historiques. Au Moyen Âge, on forgeait souvent des reliques qui donnaient lieu à un trafic international drainant des centaines de milliers de livres. Parmi les reliques qui rendirent leurs propriétaires millionnaires, naturellement, celle de saint Thomas Becket à Cantorbéry ou la fiole détenue par l’abbaye de Hailes, censée renfermer le sang sacré, sont les meilleurs exemples.
    Il y eut une intense activité diplomatique entre la France et l’Angleterre quand Philippe proposa qu’Isabelle, sa fille unique, épouse le prince de Galles. Le roi de France, soutenu par Pierre Dubois, son juriste, rêvait d’avoir un petit-fils sur le trône d’Angleterre. Le mariage eut lieu en janvier 1308. Mais « les projets les plus élaborés des souris et des hommes échouent ». Tous les fils de Philippe moururent sans descendance et le rejeton d’Isabelle, à son tour, prétendit à la couronne de France, ce qui déclencha la guerre de Cent Ans.
    Après 1303, Philippe eut tout à coup à faire face à de nouvelles exigences de la part d’Édouard I er . J’ai fait des recherches dans les Archives nationales à Paris (carton J 655 N° 25). L’une des demandes portait sur une dot considérable qui, comme l’affirme le professeur Elizabeth Brown dans son mémoire universitaire, « Aides coutumières et finances royales dans la France capétienne » (Med. Academy of America, 1992), faillit réduire le Trésor royal à la banqueroute.
    L’hypothèse selon laquelle Jeanne, l’épouse de Philippe, fut empoisonnée, se trouve dans la Chronographia Regum Francorum éditée par H. Moranville, volume I (Paris, 1891). La même source reprend aussi la rumeur prétendant que Philippe voulait épouser une princesse flamande et/ou prendre les rênes de l’ordre des Templiers contre lequel le roi lança ses sauvages persécutions en 1307.
    Gaveston est un personnage historique. Il fut banni d’Angleterre par Édouard I er , mais l’obstination que mit le favori à regagner secrètement le royaume conduisit à de violentes querelles attestées entre le père et le fils.
    À la mort d’Édouard en 1307, Gaveston fut rappelé, mais ne rencontra qu’une farouche opposition et fut