L'archer démoniaque
viendrait-elle pas discuter de l’affaire ? Peut-être pourrait-elle loger au Diable dans les Bois ? Folle de rage, Françoise a accepté. Elle voulait réparation et que justice soit faite.
— Et j’aurais quitté mon prieuré, pris ma monture et serais allée la tuer ? ironisa Lady Madeleine.
— Je crois que c’est possible. Vous possédez votre propre maison, vos cuisines et vos écuries. Et il existe une porte latérale ouvrant sur la forêt. Vous ne dépendez de personne. Il vous était facile de faire savoir que vous ne vouliez point être dérangée et de sortir à cheval. Qui aurait pensé que c’était la prieure allant ainsi vêtue d’un manteau et d’un capuchon ? Vous aviez fixé le moment et la date où Françoise devait vous retrouver. Je l’ai vérifié avec le tavernier. Françoise a passé une nuit là-bas et a quitté les lieux le lendemain. Elle a emprunté la chaussée déserte pour se rendre à l’endroit prévu à l’heure dite. C’était un coin écarté, près de la taverne ; un vallon ou une clairière ? Peut-être avez-vous même proposé de la retrouver sur le chemin ?
— Envoyer ce genre de lettre aurait été dangereux.
— Vraiment ? Un message non signé, non scellé ? Surtout si vous avez suggéré à Françoise de l’apporter comme preuve d’identification.
— Elle aurait pu en parler à quelqu’un.
— Pourquoi l’aurait-elle fait si elle avait l’intention de faire pression sur vous ?
Lady Madeleine détourna les yeux.
— Pendant ce temps, continua le magistrat, vous quittez le prieuré par une route secrète. Votre arc et votre carquois de flèches sont déjà cachés. Vous arrivez là-bas à l’heure. Vous agissez comme vous l’avez fait avec moi : vous jetez un caillou sur le sentier. Françoise s’arrête et lève la tête ; le trait l’atteint à la gorge. Après vous être assurée que la voie est libre, vous vous précipitez. Vous roulez le cadavre par-dessus le talus, le dépouillez de son escarcelle et de ses sacoches de selle, le déshabillez puis l’enterrez. Vous êtes assez calme pour fouiller les biens de la malheureuse. Je pense que Françoise avait une mèche de cheveux de Cecilia.
Corbett ouvrit sa besace et en sortit les deux liens de tissu.
— Vous emportez la mèche, mais, dans votre hâte, laissez tomber ceci. Déguisée, vous retournez sur le chemin, enfourchez votre monture, vous débarrassez des possessions de Françoise Sourtillon en les lançant dans un marais et retournez à St Hawisia.
— C’est un conte intéressant, Messire !
— Dieu seul sait ce qui est arrivé par la suite, reprit Corbett d’un ton calme. Votre frère, qui rendait visite au bordel de Rye, s’est-il aperçu que Françoise manquait ? Vous a-t-il menacée ? Ou a-t-il continué à vous railler au sujet de votre relique sacrée ? Trop c’est trop : Lord Henry était la cause de tous vos tourments. Vous avez ouï parler de la chasse. La veille de celle-ci, dans l’après-midi, vous vous rendez à ce vallon où vous jouiez enfant. Vous dissimulez un arc et un carquois dans un chêne creux. Le lendemain matin, emmitouflée et encapuchonnée, vous quittez le prieuré. Cette fois, vous feriez cesser à jamais les quolibets de votre frère à propos de la relique et ses sarcasmes possibles sur Gaveston. Vous pourriez régler une fois pour toutes la longue dissension qui vous opposait à cet homme haï.
La prieure baissa la tête.
— C’était une belle matinée ensoleillée, remarqua Corbett. Lord Henry était une cible parfaite ; et vous n’avez pas visé la gorge, mais le coeur. Au moment où il tombait au sol, vous vous êtes précipitée vers votre cheval, avez caché arc et carquois avant de retourner à St Hawisia.
— Mais pourquoi aurais-je tué mon frère, s’exclama Lady Madeleine en relevant la tête, si, comme vous le prétendez, Cantrone, le mire italien, savait déjà tout ?
— C’était un étranger. Venu d’ailleurs. Quelle preuve aurait-il pu apporter ? Qui l’aurait cru, qui aurait cru la catin Cecilia, à présent que Françoise et Lord Henry étaient morts ?
Le magistrat s’interrompit.
— Dans quelques mois, reprit-il, qu’aurait pu dire Cantrone ? Mais vous vouliez poursuivre jusqu’au bout et Cantrone était une victime facile à abattre. Alors pourquoi le laisser aller ? Il avait osé proférer des menaces sans se rendre compte à quel point il se rendait vulnérable. En
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