L'archer démoniaque
morts soudaines et inexpliquées de M. Gilles Malvoisin, le mire de la reine Jeanne, et de Mme Malvoisin, sa femme, ainsi que celle de l’aide et ami intime de Malvoisin, le signor Cantrone.
Craon s’humecta les lèvres. Le souverain se pencha en avant.
— Cela me perce le coeur, Amaury, dit-il à voix basse, que ces ragots accusent Philippe, mon bien-aimé frère en Jésus-Christ, de la mort de Jeanne. On raconte des sornettes : que Philippe désire se remarier avec une princesse flamande ! Ou, pis encore, qu’il veut rester célibataire pour pouvoir entrer chez les Templiers et ainsi dominer leur ordre !
— Mensonges ! Quelle est leur source ?
— Nous aborderons cette question dans un moment.
Édouard proposa son gobelet à Craon.
— Je ne vous narre cela que par pure amitié.
Craon prit la coupe.
— Ces commérages malveillants m’ont tellement empli de courroux, continua le souverain qui s’amusait beaucoup, que j’ai l’intention d’écrire au Saint-Père et, ma foi, à toutes les têtes couronnées de la chrétienté pour les démentir !
Craon s’étrangla. Édouard se leva brusquement, repoussa la coupe et donna de grands coups dans le dos du Français.
— C’est un bon vin bien fort. Le meilleur que mon, dit-il en insistant sur le mot, mon duché de Gascogne puisse fournir.
— C’est inutile, objecta Craon en toussant. De grâce, Sire, c’est inutile. Les rumeurs ne feront que s’étendre si vous écrivez ce genre de missive.
— Oh, je n’y avais pas pensé ! admit le souverain en regagnant sa place. Mais ce sont de dangereux mensonges. Je veux dire que si le roi de France épousait une princesse flamande ou tentait de contrôler l’ordre des Templiers qui possède maisons, terres et trésors dans toute la chrétienté, l’Angleterre et ses alliés considéreraient que c’est là acte de guerre. Le traité de paix serait abrogé et il n’y aurait point de mariage entre mon fils et la princesse Isabelle.
— Votre Majesté voit trop loin et trop vite !
— Vous ne voulez pas que j’écrive cette missive ? Vous préférez que je garde cette affaire secrète et confidentielle ?
— Bien sûr, Sire. Mais pourriez-vous nous dire d’où viennent ces calomnies ?
— Je le ferai au moment voulu.
Édouard se redressa dans sa chaire.
— Mais il y a, dit-il en agitant la main, quelques points à revoir dans ce traité de fiançailles.
— Majesté ?
— Je veux que la dot soit doublée : six cent mille livres sterling.
Craon blêmit.
— Je pense que c’est possible dans ces circonstances, bégaya-t-il.
— Bien ! Je veux que mon doux frère me donne l’assurance que toute aide et tout soutien apportés aux rebelles écossais cesseront sur-le-champ.
— Entendu.
— Je veux que mon doux frère confirme que le duché de Gascogne et la ville de Bordeaux sont bien possessions de la couronne anglaise.
— Accordé !
Édouard fit un geste.
— Alors nous sommes d’accord ?
— Rien d’autre ? s’enquit Craon, méfiant.
Le monarque fit la moue et secoua la tête.
— Mon maître, le roi de France, acceptera tout cela, mais comment pourrons-nous être certains que ces perfides rumeurs ne se répandront point ?
— J’ai envoyé Hugh Corbett à Ashdown, répondit le souverain. Il connaît ces commérages. Il a juré le secret. Avez-vous rencontré Lady Madeleine Fitzalan ?
— La demi-soeur de Lord Henry, prieure de St Hawisia ?
— Elle-même.
— C’est une femme arrogante, dit Craon. Le bruit court que...
— C’est exact, Seigneur Amaury. Lady Madeleine est une menace pour l’amitié de nos deux royaumes. Cantrone lui a fait part de ces méchants ragots et elle les a répétés à son frère. Elle seule connaît les détails.
Le souverain agita la main.
— L’heure, les lieux et cetera. Elle a refusé d’en dire très long à Sir Hugh. Nous pensons qu’elle est la racine et la cause de ces affaires et qu’elle a tout révélé à son frère. Bien entendu, sourit Édouard, elle est à présent la seule survivante de cette impie trinité ! Je crois que le meurtre de Fitzalan, et celui de Cantrone, avaient trait à cette mauvaise histoire et à celui qui en profiterait !
— Querelle de larrons ?
— Précisément, Craon !
— Alors, Sire, qu’allons-nous faire ?
Le roi nota le mot « nous » et dit en souriant :
— Oui, Amaury, qu’allons-nous faire ?
Il leva la
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