L'art de la Guerre (Les Treize Articles)
lorsqu'ils sont domptés, ils suivent
aisément la multitude.
Dans quelque position que vous puissiez être,
si votre armée est inférieure à celle des ennemis, votre seule
conduite, si elle est bonne, peut la rendre victorieuse. Il n'est
pas suffisant de compter sur les chevaux boiteux ou les chariots
embourbés, mais à quoi vous servirait d'être placé avantageusement
si vous ne saviez pas tirer parti de votre position ? À quoi
servent la bravoure sans la prudence, la valeur sans la
ruse ?
Un bon général tire parti de tout, et il n'est
en état de tirer parti de tout que parce qu'il fait toutes ses
opérations avec le plus grand secret, qu'il sait conserver son
sang-froid, et qu'il gouverne avec droiture, de telle sorte
néanmoins que son armée a sans cesse les oreilles trompées et les
yeux fascinés. Il sait si bien que ses troupes ne savent jamais ce
qu'elles doivent faire, ni ce qu'on doit leur commander. Si les
événements changent, il change de conduite ; si ses méthodes,
ses systèmes ont des inconvénients, il les corrige toutes les fois
qu'il le veut, et comme il le veut. Si ses propres gens ignorent
ses desseins, comment les ennemis pourraient-ils les
pénétrer ?
Un habile général sait d'avance tout ce qu'il
doit faire ; tout autre que lui doit l'ignorer absolument.
Telle était la pratique de ceux de nos anciens guerriers qui se
sont le plus distingués dans l'art sublime du gouvernement.
Voulaient-ils prendre une ville d'assaut, ils n'en parlaient que
lorsqu'ils étaient aux pieds des murs. Ils montaient les premiers,
tout le monde les suivait ; et lorsqu'on était logé sur la
muraille, ils faisaient rompre toutes les échelles. Étaient-ils
bien avant dans les terres des alliés, ils redoublaient d'attention
et de secret.
Partout ils conduisaient leurs armées comme un
berger conduit un troupeau ; ils les faisaient aller où bon
leur semblait, ils les faisaient revenir sur leurs pas, ils les
faisaient retourner, et tout cela sans murmure, sans résistance de
la part d'un seul.
La principale science d'un général consiste à
bien connaître les neuf sortes de terrain, afin de pouvoir faire à
propos les neuf changements. Elle consiste à savoir déployer et
replier ses troupes suivant les lieux et les circonstances, à
travailler efficacement à cacher ses propres intentions et à
découvrir celles de l'ennemi, à avoir pour maxime certaine que les
troupes sont très unies entre elles, lorsqu'elles sont bien avant
dans les terres des ennemis ; qu'elles se divisent au
contraire et se dispersent très aisément, lorsqu'on ne se tient
qu'aux frontières ; qu'elles ont déjà la moitié de la
victoire, lorsqu'elles se sont emparées de tous les allants et de
tous les aboutissants, tant de l'endroit où elles doivent camper
que des environs du camp de l'ennemi ; que c'est un
commencement de succès que d'avoir pu camper dans un terrain vaste,
spacieux et ouvert de tous côtés ; mais que c'est presque
avoir vaincu, lorsque étant dans les possessions ennemies, elles se
sont emparées de tous les petits postes, de tous les chemins, de
tous les villages qui sont au loin des quatre côtés, et que, par
leurs bonnes manières, elles ont gagné l'affection de ceux qu'elles
veulent vaincre, ou qu'elles ont déjà vaincus.
Instruit par l'expérience et par mes propres
réflexions, j'ai tâché, lorsque je commandais les armées, de
réduire en pratique tout ce que je vous rappelle ici. Quand j'étais
dans des
lieux de division,
je travaillais à l'union des
cœurs et à l'uniformité des sentiments. Lorsque j'étais dans des
lieux légers,
je rassemblais mon monde, et je l'occupais
utilement. Lorsqu'il s'agissait des
lieux qu'on peut
disputer,
je m'en emparais le premier, quand je le
pouvais ; si l'ennemi m'avait prévenu, j'allais après lui, et
j'usais d'artifices pour l'en déloger. Lorsqu'il était question des
lieux de réunion,
j'observais tout avec une extrême
diligence, et je voyais venir l'ennemi. Sur un
terrain plein et
uni,
je m'étendais à l'aise et j'empêchais l'ennemi de
s'étendre. Dans des
lieux à plusieurs issues,
quand il
m'était impossible de les occuper tous, j'étais sur mes gardes,
j'observais l'ennemi de près, je ne le perdais pas de vue. Dans des
lieux graves et importants,
je nourrissais bien le soldat,
je l'accablais de caresses. Dans des
lieux gâtés ou
détruits,
je tâchais de me tirer d'embarras, tantôt en faisant
des détours et tantôt en
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