L'art de la Guerre (Les Treize Articles)
dispositions
à prendre, que sans défense expresse elles s'interdisent
d'elles-mêmes tout ce qui est contre la discipline.
Veillez en particulier avec une extrême
attention à ce qu'on ne sème pas de faux bruits, coupez racine aux
plaintes et aux murmures, ne permettez pas qu'on tire des augures
sinistres de tout ce qui peut arriver d'extraordinaire.
Si les devins ou les astrologues de l'armée
ont prédit le bonheur, tenez-vous-en à leur décision ; s'ils
parlent avec obscurité, interprétez en bien ; s'ils hésitent,
ou qu'ils ne disent pas des choses avantageuses, ne les écoutez
pas, faites-les taire.
Aimez vos troupes, et procurez-leur tous les
secours, tous les avantages, toutes les commodités dont elles
peuvent avoir besoin. Si elles essuient de rudes fatigues, ce n'est
pas qu'elles s'y plaisent ; si elles endurent la faim, ce
n'est pas qu'elles ne se soucient pas de manger ; si elles
s'exposent à la mort, ce n'est point qu'elles n'aiment pas la vie.
Si mes officiers n'ont pas un surcroît de richesses, ce n'est pas
parce qu'ils dédaignent les biens de ce monde. Faites en vous-même
de sérieuses réflexions sur tout cela.
Lorsque vous aurez tout disposé dans votre
armée et que tous vos ordres auront été donnés, s'il arrive que vos
troupes nonchalamment assises donnent des marques de tristesse, si
elles vont jusqu'à verser des larmes, tirez-les promptement de cet
état d'assoupissement et de léthargie, donnez-leur des festins,
faites-leur entendre le bruit du tambour et des autres instruments
militaires, exercez-les, faites-leur faire des évolutions,
faites-leur changer de place, menez-les même dans des lieux un peu
difficiles, où elles aient à travailler et à souffrir. Imitez la
conduite de Tchouan Tchou et de Tsao-Kouei, vous changerez le cœur
de vos soldats, vous les accoutumerez au travail, ils s'y
endurciront, rien ne leur coûtera dans la suite.
Les quadrupèdes regimbent quand on les charge
trop, ils deviennent inutiles quand ils sont forcés. Les oiseaux au
contraire veulent être forcés pour être d'un bon usage. Les hommes
tiennent un milieu entre les uns et les autres, il faut les
charger, mais non pas jusqu'à les accabler ; il faut même les
forcer, mais avec discernement et mesure.
Si vous voulez tirer un bon parti de votre
armée, si vous voulez qu'elle soit invincible, faites qu'elle
ressemble au Chouai Jen. Le Chouai Jen est une espèce de gros
serpent qui se trouve dans la montagne de Tchang Chan. Si l'on
frappe sur la tête de ce serpent, à l'instant sa queue va au
secours, et se recourbe jusqu'à la tête ; qu'on le frappe sur
la queue, la tête s'y trouve dans le moment pour la défendre ;
qu'on le frappe sur le milieu ou sur quelque autre partie de son
corps, sa tête et sa queue s'y trouvent d'abord réunies. Mais cela
peut-il être pratiqué par une armée ? dira peut-être
quelqu'un. Oui, cela se peut, cela se doit, et il le faut.
Quelques soldats du royaume de Ou se
trouvèrent un jour à passer une rivière en même temps que d'autres
soldats du royaume de Yue la passaient aussi ; un vent
impétueux souffla, les barques furent renversées et les hommes
auraient tous péri, s'ils ne se fussent aidés mutuellement :
ils ne pensèrent pas alors qu'ils étaient ennemis, ils se rendirent
au contraire tous les offices qu'on pouvait attendre d'une amitié
tendre et sincère, ils coopérèrent comme la main droite avec la
main gauche.
Je vous rappelle ce trait d'Histoire pour vous
faire entendre que non seulement les différents corps de votre
armée doivent se secourir mutuellement, mais encore qu'il faut que
vous secouriez vos alliés, que vous donniez même du secours aux
peuples vaincus qui en ont besoin ; car, s'ils vous sont
soumis, c'est qu'ils n'ont pu faire autrement ; si leur
souverain vous a déclaré la guerre, ce n'est pas de leur faute.
Rendez-leur des services, ils auront leur tour pour vous en rendre
aussi.
En quelque pays que vous soyez, quel que soit
le lieu que vous occupiez, si dans votre armée il y a des
étrangers, ou si, parmi les peuples vaincus, vous avez choisi des
soldats pour grossir le nombre de vos troupes, ne souffrez jamais
que dans les corps qu'ils composent ils soient ou les plus forts,
ou en majorité. Quand on attache plusieurs chevaux à un même pieu,
on se garde bien de mettre ceux qui sont indomptés, ou tous
ensemble, ou avec d'autres en moindre nombre qu'eux, ils mettraient
tout en désordre ; mais
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