L'art de la Guerre (Les Treize Articles)
pays,
et si l'ennemi, sans vous avoir donné le temps de faire tous vos
préparatifs, s'apprêtant à vous attaquer, vient avec une armée bien
ordonnée pour l'envahir ou le démembrer, ou y faire des dégâts,
ramassez promptement le plus de troupes que vous pourrez, envoyez
demander du secours chez les voisins et chez les alliés,
emparez-vous de quelques lieux qu'il chérit, et il se fera conforme
à vos désirs, mettez-les en état de défense, ne fût-ce que pour
gagner du temps ; la rapidité est la sève de la guerre.
Voyagez par les routes sur lesquelles il ne
peut vous attendre ; mettez une partie de vos soins à empêcher
que l'armée ennemie ne puisse recevoir des vivres, barrez-lui tous
les chemins, ou du moins faites qu'elle n'en puisse trouver aucun
sans embuscades, ou sans qu'elle soit obligée de l'emporter de vive
force.
Les paysans peuvent en cela vous être d'un
grand secours et vous servir mieux que vos propres troupes :
faites-leur entendre seulement qu'ils doivent empêcher que
d'injustes ravisseurs ne viennent s'emparer de toutes leurs
possessions et ne leur enlèvent leur père, leur mère, leur femme et
leurs enfants.
Ne vous tenez pas seulement sur la défensive,
envoyez des partisans pour enlever des convois, harcelez, fatiguez,
attaquez tantôt d'un côté, tantôt de l'autre ; forcez votre
injuste agresseur à se repentir de sa témérité ;
contraignez-le de retourner sur ses pas, n'emportant pour tout
butin que la honte de n'avoir pu réussir.
Si vous faites la guerre dans le pays ennemi,
ne divisez vos troupes que très rarement, ou mieux encore, ne les
divisez jamais ; qu'elles soient toujours réunies et en état
de se secourir mutuellement ; ayez soin qu'elles ne soient
jamais que dans des lieux fertiles et abondants.
Si elles venaient à souffrir de la faim, la
misère et les maladies feraient bientôt plus de ravage parmi elles
que ne le pourrait faire dans plusieurs années le fer de
l'ennemi.
Procurez-vous pacifiquement tous les secours
dont vous aurez besoin ; n'employez la force que lorsque les
autres voies auront été inutiles ; faites en sorte que les
habitants des villages et de la campagne puissent trouver leurs
intérêts à venir d'eux-mêmes vous offrir leurs denrées ; mais,
je le répète, que vos troupes ne soient jamais divisées.
Tout le reste étant égal, on est plus fort de
moitié lorsqu'on combat chez soi.
Si vous combattez chez l'ennemi, ayez égard à
cette maxime, surtout si vous êtes un peu avant dans ses
États : conduisez alors votre armée entière ; faites
toutes vos opérations militaires dans le plus grand secret, je veux
dire qu'il faut empêcher qu'aucun ne puisse pénétrer vos
desseins : il suffit qu'on sache ce que vous voulez faire
quand le temps de l'exécuter sera arrivé.
Il peut arriver que vous soyez réduit
quelquefois à ne savoir où aller, ni de quel côté vous
tourner ; dans ce cas ne précipitez rien, attendez tout du
temps et des circonstances, soyez inébranlable dans le lieu où vous
êtes.
Il peut arriver encore que vous vous trouviez
engagé mal à propos ; gardez-vous bien alors de prendre la
fuite, elle causerait votre perte ; périssez plutôt que de
reculer, vous périrez au moins glorieusement ; cependant,
faites bonne contenance. Votre armée, accoutumée à ignorer vos
desseins, ignorera pareillement le péril qui la menace ; elle
croira que vous avez eu vos raisons, et combattra avec autant
d'ordre et de valeur que si vous l'aviez disposée depuis longtemps
à la bataille.
Si dans ces sortes d'occasions vous triomphez,
vos soldats redoubleront de force, de courage et de valeur ;
votre réputation s'accroît dans la proportion même du risque que
vous avez couru. Votre armée se croira invincible sous un chef tel
que vous.
Quelque critiques que puissent être la
situation et les circonstances où vous vous trouvez, ne désespérez
de rien ; c'est dans les occasions où tout est à craindre
qu'il ne faut rien craindre ; c'est lorsqu'on est environné de
tous les dangers qu'il n'en faut redouter aucun ; c'est
lorsqu'on est sans aucune ressource qu'il faut compter sur
toutes ; c'est lorsqu'on est surpris qu'il faut surprendre
l'ennemi lui-même.
Instruisez tellement vos troupes qu'elles
puissent se trouver prêtes sans préparatifs, qu'elles trouvent de
grands avantages là où elles n'en ont cherché aucun, que sans aucun
ordre particulier de votre part, elles improvisent les
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