Le Baiser de Judas
cœurs. Elle y
rencontra la haine qui, partout, fermentait.
Six mois avaient passé.
L’hiver s’était montré plutôt clément, et chacun guettait le ciel, attendant de
Dieu ce signe de bonté qu’il avait refusé trois années de suite. On avait même
vu passer des commerçants arabes et phéniciens, cherchant à acheter sur pied de
quoi faire une huile exportée aux quatre coins de la Méditerranée. Les enfants
les avaient entourés, désireux de toucher ces costumes étranges, ces visages
inhabituels. Judas avait été fasciné. Il continuait de travailler avec son père
et se révélait de plus en plus doué. Toute la famille allait souvent à la
kenesset, ce local religieux que, sous l’influence grecque, on nommait de plus
en plus souvent synagogue. Ils étaient d’autant plus pieux que, dans une
Galilée peuplée en grande partie de gentils, respecter les rites avec exigence
était l’ultime moyen d’affirmer sa supériorité.
C’est en sortant de la kenesset que Judas vit
ses premiers soldats romains depuis les massacres de l’automne précédent.
« Viens là, petit. »
Ils étaient trois, et retenaient déjà autour d’eux
autant de camarades de jeux de Judas.
« Portez cela jusqu’à l’autre bout du
village. Sinon, vous serez punis. »
Judas connaissait déjà la loi des « un
mille », qui autorisait n’importe quel Romain à obliger un Juif à porter
son bagage sur la distance d’un mille. Il se retrouva titubant sous un
paquetage beaucoup trop lourd pour lui. Les trois autres enfants, qui n’avaient
que huit ans, s’étaient écroulés sous le poids et n’avaient plus pu repartir, mais
lui avait tenu à continuer jusqu’au bout et avait fini, pleurant de rage, les
pieds en sang et le cou brisé, sous les rires de deux des légionnaires.
Zacharie réapparut
peu de temps après l’incident, que Judas avait préféré taire à ses parents. Nul
ne savait où il était parti. Même sa mère, qu’il avait confiée à son oncle et à
sa tante, ignorait ce qu’il était devenu.
Il faisait déjà noir depuis deux heures quand
des coups furent frappés à la porte de Simon. Tous crurent que c’était à
nouveau la rahé qui venait proposer de conter l’avenir. Dehors, on entendait
les cris des bergers gardant les troupeaux qui ne passaient pas la nuit à l’enclos.
L’odeur du pain chaud flottait dans la pièce, et la soupe venait d’être
engloutie. La petite Hannah en avait renversé sur sa tunique, provoquant le
rire de son père et la colère de sa mère, contrainte d’aller au lavoir plus
souvent qu’elle ne l’aurait souhaité. Au bout de la table, une assiette vide
était dressée : elle attendait l’inconnu qui pouvait se présenter.
Simon alla ouvrir et reconnut Zacharie. Il
paraissait plus grand, plus fort. Sa barbe n’était plus taillée, et ses cheveux
tombaient librement sur ses épaules. Des cris de joie saluèrent son arrivée. Simon
voulut même tuer un agneau, mais l’autre l’en dissuada : il préférait que
l’on ne sache pas trop qu’il était revenu. Il ne put quand même empêcher son
hôte de servir deux gobelets de vin, et de lui offrir une assiette de soupe qu’il
avala comme s’il n’avait pas mangé depuis longtemps.
« Où étais-tu, Zacharie ? Comment
as-tu pu nous laisser aussi longtemps sans nouvelles ?
— Laisse-moi d’abord regarder ta famille.
Comme ils ont grandi. Surtout ton aîné, la… Viens me voir, petit. »
Judas était un peu intimidé. Zacharie lui
passa la main dans les cheveux en riant. Il sentait le sable et la poussière, et
aussi le vin dont il venait de se resservir.
« Alors, mon bonhomme, que deviens-tu ?
Tu t’occupes bien de ta petite sœur ?
— Il est adorable avec elle. Et il
devient un potier doué. Je crois même qu’il ira plus haut que son père. Hein, mon
fils ? »
Judas était fier et heureux de susciter tant d’attention.
Quand il partit s’allonger dans le coin de la pièce où il dormait, il se força
à rester éveillé et écouta sans que plus personne lui prête attention.
« Comment vivez-vous ici ? demanda
Zacharie quand l’excitation des retrouvailles fut un peu retombée.
— Rien ne change vraiment. Shimon bar
Jonas a encore des problèmes avec sa femme et sa belle-mère. Lévi se chamaille
avec le rabbin de Capharnaüm et…
— Tu as compris ce que je voulais dire. Les
Romains sont toujours aussi… »
Il n’eut pas besoin d’en dire plus pour
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