Le Baiser de Judas
lança
un regard muet, comme pour la calmer.
« Nous aurions aimé t’offrir mieux que du
blé, mais l’année a été dure, tu sais…
— Je sais », répondit Zacharie tout
en tendant son écuelle vers le plat.
Il mangea avec un appétit sauvage et anima la
soirée d’une gaieté que plus rien ne vint troubler.
Judas se rendit
compte de ce que Zacharie avait semé chez son père à l’ampleur des disputes qui,
régulièrement, déchirèrent ses parents. La première fut causée par la décision
de Simon de se rendre à une réunion des amis de Zacharie. Il en revint exalté
et ravi. Non seulement il y avait revu Jochanaan, le villageois disparu après
le massacre, mais il avait rencontré des gens de qui il se sentait très proche.
Ciborée hurla qu’il mettait les enfants en danger, les amena devant lui pour qu’il
en prît conscience.
De ce jour, il y eut quelque chose de brisé
dans le couple. Simon s’absenta de plus en plus. Chez Josué, le meilleur ami de
Judas, les absences d’un frère et d’un oncle se faisaient aussi plus fréquentes.
On voyait souvent Zacharie ou plutôt on apprenait le matin qu’il était passé la
nuit précédente et avait visité telle ou telle maison.
Josué et Judas s’interrogeaient beaucoup sur
ce désordre. Son père négligeant l’atelier, Judas accompagnait son camarade
faire paître son troupeau. Tandis que les bêtes broutaient, les deux amis
parlaient ou jouaient, s’amusant à monter aux sycomores après que Josué avait
attaché la patte des moutons à leur queue. Josué avait trois ans de plus que
Judas, et en paraissait encore plus. Ce développement physique inhabituel n’était
pas pour rien dans la fascination qu’il exerçait sur son fragile cadet. Il
était en outre très curieux, presque malsain et pas très aimé de ceux du
village qui lui reprochaient de fouiner partout. C’est ainsi qu’il avait
surpris divers petits secrets, dont celui qui unissait parfois dans une cabane
le forgeron et la femme du berger d’un village voisin. Il avait même invité
Judas à profiter de cette découverte. Le petit garçon n’avait pas compris ce
que faisaient l’un sur l’autre l’homme et la femme, poussant de petits cris en
gigotant. Mais il avait senti que c’était quelque chose qu’il n’aurait pas dû
voir, et avait été reconnaissant à son ami de le lui avoir montré.
Aussi ne lui avait-il de son côté pas caché ce
qu’il avait cru saisir de la conversation entre son père et Zacharie. Josué avait
paru un peu déçu que ce grand secret n’ait pas plus de rapport avec les
activités du forgeron et de sa voisine. Les deux garçons avaient alors décidé d’enquêter
sur ce qui se passait, mais le jeu avait vite cessé d’amuser Josué et Judas s’était
retrouvé seul face au mystère.
Un matin qu’il travaillait avec son père, il
avait décidé d’aborder la question de front… Ciborée leur avait amené un
morceau d’un pain frotté d’huile d’olive qu’elle venait de retirer du four. Simon
guidait encore la main de Judas, pour l’aider à apprécier le moment où il
devait essayer de lever son vase. Il était enjoué, détendu. Ciborée lui fourra
un morceau de pain dans la bouche, puis effaça du doigt la trace huileuse qu’elle
avait maladroitement laissée sur sa joue. Malgré sa crainte, l’enfant se lança.
« Pourquoi vous criez si fort des fois
avec Maman ?
— Ce sont des affaires de grands, Judas. »
C’était la réponse qu’il détestait, celle qui
était le plus souvent offerte à ses interrogations.
« Mais où t’en vas-tu si souvent le soir ? »
Son père leva les yeux de sa tâche.
« Cela aussi est affaire de grands, mon
chéri. Mais sois bien sûr que je ne fais rien de mal, et que cela n’est en rien
dirigé contre ta mère. »
Il parut hésiter.
« Sois sûr aussi que dans le fond elle
approuve ce que je fais. Elle a peur parce que cela peut être dangereux, et qu’elle
s’inquiète pour moi et pour vous, plus tard. Mais c’est de l’amour, mon fils, seulement
de l’amour. Tu n’as pas le droit d’en douter. Termine-moi ce vase maintenant. »
La réponse rassura Judas sans pour autant
apaiser sa curiosité.
Le lendemain, il rapporta ses découvertes à
Josué, qui ricana que cela ne les avançait guère.
Alors il résolut de mettre à profit le
prochain voyage de son père pour en savoir plus.
Simon n’aimait pas
Césarée de Philippe, ville bâtie à la
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