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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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Sanhédrin, de peur qu’il suscite encore quelque révolte de la populace, ce qui déplairait à Rome. Alors, je fais de temps à autre emprisonner ou exécuter l’un de ces malheureux.
    — Ô roi, ces gens comprendront-ils un jour, répliqua Philon, que la vérité ne jaillit que du débat, et non de l’anathème ?
    — J’en doute, répondit Agrippa. Aussi, tu comprends que ce voyage à Alexandrie est pour moi une bouffée d’air pur. Pourrais-tu me mener dans ces gymnases, ces thermes, ces théâtres et ces joyeux établissements pleins de jolies femmes dont on m’a tant parlé ?
    — Je crains que votre présence en ces lieux soit très mal vue des Grecs et des Égyptiens. Le risque est grand que cela provoque des émeutes contre notre communauté. Le préfet Flaccus ne nous aime pas. Il serait préférable de se rendre à la Bibliothèque et de…
    — Ah, Philon, tu es bien comme « les autres » sous tes oripeaux de Grec ! Eh bien, j’irai sans toi !
    Agrippa ne tint donc pas compte des prudents avis de Philon. Il s’afficha partout en ville, malgré les quolibets des Grecs. Une semaine plus tard, une pièce satirique qui l’insultait et insultait son peuple eut un grand succès auprès des Égyptiens. La situation empira après son départ pour Rome, où il allait saluer le nouvel empereur. Philon demanda au préfet Flaccus d’intervenir, mais au lieu de calmer les choses, le représentant de Rome ordonna qu’on mette dans la grande synagogue une statue de l’empereur. Il croyait ainsi complaire au jeune Caligula. Aussitôt, les juifs alexandrins se soulevèrent. La réponse de l’armée romaine, aidée par le peuple égyptien, fut d’une brutalité inouïe. On rassembla les juifs de toute la cité, comme des bestiaux avec leurs petits, des milliers d’hommes et de femmes, sur un espace si réduit qu’on eût dit un enclos. Ceux qui erraient encore en ville ou qui cherchaient à s’évader furent lapidés, on les frappa avec des tessons d’argile, des branches de pin ou de chêne jusqu’à ce que mort s’ensuive.
    Curieusement, le quartier des palais et du Musée fut épargné, comme si personne n’osait profaner ce sanctuaire où tous les savoirs du monde se côtoyaient dans le silence.
    Philon décida alors de partir en ambassade à Rome auprès de l’empereur pour plaider la cause de son peuple. Tout le Musée se mobilisa pour l’aider dans son entreprise. Géomètres, astronomes, philosophes, poètes, copistes, interprètes, quelle que fût leur religion, oubliant leurs rudes querelles, s’unirent pour affréter un navire. Des Grecs se joignirent à l’ambassade pour soutenir leurs confrères. Le grand-prêtre du Musée lui-même se proposa de les accompagner, et Philon eut bien du mal à l’en dissuader : dans la tempête, le capitaine doit rester sur son bateau.
    Quand l’ambassade des juifs alexandrins arriva à Rome, une mauvaise nouvelle les attendait : l’empereur était à l’agonie. Le peuple, plein d’inquiétude, passait ses jours et ses nuits autour du palais. Enfin, quand la nouvelle de la guérison de Caligula fut annoncée, Rome tout entière ne fut plus qu’un cri de joie.
    Philon était hébergé par son ami Sénèque, philosophe stoïcien qui avait vécu longtemps à Alexandrie.
    Ce Romain d’Ibérie était maintenant questeur, un poste important proche du trône. Sénèque promit d’obtenir une audience impériale le plus tôt possible. Mais les jours passaient et le questeur revenait chaque fois bredouille du palais, trouvant à l’empereur mille et un prétextes pour ne pas recevoir les ambassadeurs alexandrins : Caligula n’était pas encore tout à fait remis, ou bien il avait eu une rechute, ou encore les Germains s’agitaient au limes du Rhin… Il finit même par conseiller à Philon de repartir le plus vite possible en Égypte. L’ambassadeur philosophe s’y refusa.
    Un jour enfin, Sénèque revint porteur d’une lettre accordant audience à ses hôtes. Il n’y avait pourtant en lui aucune fierté d’avoir arraché cette faveur :
    — Une dernière fois, je t’en supplie, ami Philon, pars ! Ici, la droiture n’est plus en sûreté. Ton devoir est de renoncer au forum et à la vie publique, de seulement te consacrer à l’étude.
    — Qu’est-ce donc que ce charabia ? répliqua Philon. Ne t’ai-je pas répété cent fois que ce n’est pas de gaieté de cœur que j’ai quitté mes livres ? Des milliers de vies sont

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