Le bûcher de Montségur
payaient généreusement les services qu’on leur rendait. Ne pouvant porter de fortes sommes sur eux (c’était fort difficile à l’époque où les billets de banque n’existaient pas), ils en confiaient la garde à des personnes sûres, lesquelles, à leur tour, les enterraient dans des cachettes connues d’elles seules ; et ces trésors devaient être mis à la disposition de l’Église cathare en cas de besoin urgent. Les sommes importantes que les cathares possédaient dans toutes les régions où ils exerçaient leur ministère provenaient d’abord de legs que les croyants consolés leur faisaient à leur lit de mort ; pour les croyants riches, ces legs étaient pour ainsi dire obligatoires, et même les personnes de petite condition léguaient leurs vêtements, leur lit ou divers objets mobiliers. Une autre source de revenus était fournie par des collectes faites pour l’Église par des hommes de confiance, collectes qui recueillaient des dons en argent et en nature.
La vie clandestine des cathares semble avoir été bien organisée à l’époque des premières années de l’Inquisition : les registres des inquisiteurs font état de diverses catégories de croyants fauteurs d’hérétiques : les receptatores , délit le plus commun – ceux qui accordaient l’hospitalité aux parfaits ; les nuncii , agents de liaison, guides ou messagers ; les quaestores ou collecteurs de fonds ; les depositarii ou dépositaires chargés de la garde des trésors. Toutes ces fonctions n’étaient évidemment pas rigoureusement délimitées, et les noms donnés à ces croyants servaient plutôt à qualifier la nature du délit, aucun croyant, et pour cause, ne se parait du titre de quaestor ou nuncius haereticorum . L’organisation n’en existait pas moins en fait, et plus la persécution devenait serrée, plus les liens qui unissaient les cathares et leurs fidèles devenaient rigoureux ; le danger, qui rebutait les plus faibles, devenait un stimulant pour les natures généreuses ; et même ceux dont la foi était médiocre devaient hésiter quand ils n’avaient plus d’autre alternative que le choix entre la fidélité et la trahison, et préféraient s’exposer aux dangers de poursuites plutôt que de trahir.
II – LE SANCTUAIRE DE MONTSÉGUR
Les cathares possédaient la forteresse de Montségur qui, au vu et au su de tous, était le centre officiel de l’Église cathare du Languedoc. Des chevaliers, accompagnés de leurs familles, y venaient en pèlerinage, des hommes du peuple s’y rendaient en secret, séparément ou par groupes, pour pouvoir assister librement au culte de leur Église, recevoir les bénédictions des bons hommes, leur demander des conseils ou des instructions sur la lutte à mener contre l’ennemi.
Ce château, situé sur les terres qui appartenaient à Guy de Lévis, maréchal de la foi et nouveau suzerain du Mirepoix, avait fait, semble-t-il, partie de l’héritage d’Esclarmonde, sœur de Raymond-Roger de Foix, et était tenu par Raymond de Perella, vassal des comtes de Foix ; à ce puissant seigneur, personne ne contestait son domaine, parce que Montségur passait pour un nid d’aigle impossible à prendre d’assaut et était situé en pleine montagne, loin des grandes routes, dans un pays notoirement dévoué à l’hérésie ; ni les croisés ni les troupes du roi n’avaient jugé utile de prendre cette forteresse d’un médiocre intérêt stratégique et dont le siège eût présenté d’immenses difficultés 173 .
Située sur le versant nord des Pyrénées, perdue au milieu de sommets de moyenne altitude (2 000 à 3 000 m.) dominant, de trois côtés, des vallées profondes, la montagne ou pic de Montségur (1 207 m.) est un immense rocher arrondi, en forme de pain de sucre, et auquel on ne peut accéder que par son versant ouest, qui lui-même descend vers la vallée en pente fort raide et découverte. Le château construit au sommet, très petit, ne pouvait abriter de défenseurs nombreux, à plus forte raison servir d’habitation en temps de paix à une grande communauté. Les hérétiques qui se réfugiaient à Montségur logeaient dans le village situé au pied de la montagne et dans de nombreuses cabanes construites sur le versant ouest et dans le rocher ; depuis le passage de Guy de Montfort aucune armée ennemie n’avait pénétré dans ces terres peu hospitalières et bien gardées, et autour de Montségur s’était formée, après la
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