Le bûcher de Montségur
eux-mêmes, les parfaits vivaient de la charité des croyants ; charité bien organisée et largement suffisante, si l’on en croit les témoignages des personnes qui ont reconnu avoir porté à des hérétiques des vivres, des vêtements, de l’argent. Pain, farine, miel, légumes, raisin, figues, noix, pommes, noisettes, fraises…, poissons frais ou même en pâté ou en ragoût, vin, pains, fouaces, plats modestes ou même délicats préparés par des femmes du peuple qui pouvaient se rendre en forêt ou y envoyer leurs enfants sans éveiller de soupçons ; des croyants plus riches fournissaient aux refuges hérétiques des setiers de blé, des boisseaux de vin – et du meilleur vin de leur cave.
Des femmes faisaient des collectes pour ramasser de la laine avec laquelle les ermites forcés tissaient eux-mêmes leurs vêtements ou des vêtements pour des frères plus pauvres ; les marchands de tissus donnaient des étoffes, d’autres des vêtements tout faits, des gants, des bonnets ; d’autres donnaient des plats, des carafes, des rasoirs, etc. Tous ces dons ont été connus parce que leurs auteurs ont eu à en répondre devant la justice.
Parfois, tant pour gagner leur vie que pour dissimuler leur ministère, les parfaits exerçaient des métiers ; on signale des parfaits cordonniers ou boulangers, des parfaites employées à filer la laine ou à tenir la maison de croyants fortunés. Les parfaits vaudois, en particulier, tenaient à vivre de leur travail et on en cite qui furent tonneliers, coiffeurs, bourreliers, maçons. Les hérétiques, après 1229, exercèrent moins souvent le métier de tisserand, cette corporation étant particulièrement suspecte d’hérésie ; mais certains restèrent tisserands même au temps de l’Inquisition.
Beaucoup de parfaits cathares et vaudois jouissaient d’une haute réputation comme médecins et pouvaient, à ce titre, rendre service aux croyants qui les aidaient et les accueillaient ; leurs adversaires n’ont pas manqué d’insinuer que c’était là un bon moyen de capter la confiance des gens et d’obtenir des legs pour leur Église en cas de maladie mortelle. C’était, en effet, un moyen comme un autre. Pour mieux gagner cette confiance, beaucoup d’entre eux, surtout les vaudois, n’acceptaient pas d’argent et fournissaient eux-mêmes les remèdes. Le vaudois P. de Vallibus, le cathare Guillaume d’Ayros allaient de village en village, de château en château, aussi occupés à soigner les malades qu’à prêcher. Il semble qu’il y ait eu là plus qu’une tactique de propagande, de véritables vocations de médecins, bien naturelles chez des hommes qui consacraient leur vie à la pratique de la charité. L’exercice de la médecine leur était, bien entendu, interdit, et ils se rendaient suspects par le seul fait de s’obstiner à soigner les malades.
Raynier Sacchoni, dans sa Somme (écrite en 1250), reproche aux cathares leur amour de l’argent et ajoute honnêtement que les persécutions dont ils étaient victimes leur créaient l’obligation de disposer de sommes importantes. Ne pouvant posséder ni terres, ni maisons, ni entreprises de commerce, et réduite peu à peu à l’illégalité totale, l’Église cathare ne pouvait continuer à exercer son activité que grâce à des dons en argent ; elle en avait besoin moins pour l’entretien de ses ministres (qui, grands jeûneurs, dépensaient peu pour eux-mêmes) que pour l’achat et la diffusion de leurs livres sacrés et de leur littérature apologétique ou polémique ; pour l’organisation des services de liaison, des réunions, dont le succès dépendait souvent du silence de quelque fonctionnaire intéressé ; pour les déplacements, les voyages, les secours aux croyants nécessiteux. Partout et toujours, l’argent était un puissant moyen d’action, surtout pour des gens dont la tête était mise à prix. Ainsi, en 1237, le baile de Fanjeaux arrêta l’évêque Bertrand Marty lui-même avec trois parfaits, et les laissa repartir contre la somme de trois cents sous toisas que des croyants ramassèrent aussitôt sur place au moyen d’une quête. Pour un cas de corruption connu, des dizaines ont dû rester secrets ; et des hommes, sans cesse à la merci du premier misérable qui leur ferait le chantage à la dénonciation, ne devaient guère éprouver de scrupules à acheter leur vie à prix d’or.
Les parfaits étaient riches et réputés pour tels. Ils
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