Le bûcher de Montségur
incarnations directes de la force du mal, ce n’était pas un crime de les supprimer. Les inquisiteurs et leurs complices ne pouvaient manquer d’être rangés au nombre de ces créatures diaboliques. D’ailleurs, les parfaits n’avaient nul besoin de pousser à la violence des gens qui n’y étaient que trop portés. Mais ils pouvaient jouer un rôle politique, et user de leur influence sur les seigneurs croyants pour les engager à la lutte, en leur faisant valoir l’avantage spirituel qu’ils en retireraient.
C’est à cette époque que fut institué par eux le pacte de la convenensa , qui ne semble pas avoir été pratiqué avant : lié par ce pacte, le croyant pouvait recevoir le consolamentum in extremis , même si, par des blessures ou pour quelque autre cause, il se trouvait privé de l’usage de la parole. (Plus tard, cette coutume devait se généraliser, pour des raisons assez évidentes : ne pouvant consentir à administrer le sacrement à des inconnus, par peur de tomber dans un piège, les parfaits trouvèrent ce moyen de dénombrer leurs fidèles ; l’homme lié par la convenensa imposait, par ce fait même, aux parfaits l’obligation morale de le consoler à son lit de mort, si du moins il y avait possibilité matérielle.)
La vie des cathares, en devenant clandestine, gagnait en intensité et en ferveur : les croyants tièdes, ou ceux qui, déjà (comme c’était le cas avant 1209, et même après la reconquête du pays par le comte), devenaient hérétiques par intérêt ou par respect des convenances, étaient peu à peu éliminés de la communauté. Les auditeurs des réunions hérétiques n’en étaient pas moins nombreux, puisque leurs rangs étaient grossis par tous ceux qui, mécontents du régime nouveau, trouvaient dans les Églises hérétiques les seules véritables organisations de résistance. En cette période, l’action des vaudois était devenue plus puissante que pendant la croisade ; les deux Églises autrefois rivales faisaient front commun, et les registres citent de nombreux parfaits vaudois prêchant dans le Languedoc, surtout dans la région de l’Ariège.
L’apostolat de ces hommes était difficile ; ils l’exerçaient avec constance, car ce n’était pas la crainte du danger qui les forçait à vivre dans des huttes de charbonniers, des cabanes de branchages au fond des forêts, des métairies abandonnées – à Montségur, à Quéribus, voire en Lombardie, ils eussent joui d’une sécurité plus grande que dans ces abris précaires. Ils menaient une vie vagabonde et traquée afin de pouvoir continuer leur activité et être proches de ce peuple qui leur restait fidèle ou qu’ils espéraient reconvertir à leur foi.
Arrivés dans les environs d’un village ou d’un bourg, le parfait et son socius commençaient par se trouver un abri sûr : parfois dans la maison d’un croyant, lorsque la localité n’était pas étroitement surveillée par l’autorité ecclésiastique (et ces pays étaient nombreux ; à commencer par les châteaux des seigneurs de Niort ou d’autres féodaux moins puissants tels Lanta Jourda, le sire de Calhavel, la plus grande partie de la noblesse de Fanjeaux, de Laurac, de Miramont, etc. ; et c’étaient parfois les bailes du comte qui désignaient eux-mêmes aux parfaits les maisons « sûres » où ils pouvaient être reçus. Des bourgs comme Sorèze, Avignonet, Saint-Félix avaient des curés sinon hérétiques du moins sympathisants). Le plus souvent les prédicateurs errants s’arrêtaient dans quelque retraite située en dehors de la ville, tant pour ne pas courir le risque d’être reconnus que pour ne pas compromettre les personnes qui leur offraient l’hospitalité. Leur présence n’était révélée qu’à des croyants dont on pouvait être sûr, et les cathares entretenaient un vaste réseau d’agents secrets qui servaient de messagers et de guides. Si le pays était sous la surveillance d’un curé ou d’un baile notoirement catholique, les croyants étaient obligés d’user de prétextes divers pour s’éloigner de la ville ; les pauvres allaient ramasser du bois mort, les femmes cueillir des champignons ou des baies ; les nobles allaient à la chasse ; et encore ne fallait-il pas qu’il y eût un exode par trop massif de paroissiens, et ces expéditions ne pouvaient s’effectuer que par petits groupes ou à plusieurs jours de distance.
C’était, en général, sur des clairières
Weitere Kostenlose Bücher