Le bûcher de Montségur
croisade, une véritable colonie cathare, si importante que des marchands des villes voisines y affluaient, toujours sûrs d’y trouver de la clientèle : le bourg perdu était en train de devenir un marché comme tout lieu de pèlerinage, car c’était bien ce qu’était Montségur.
En 1204, le château, considéré depuis longtemps par les cathares comme un lieu particulièrement propice à leur culte, tombait en ruines ; et les parfaits demandèrent à son seigneur, R. de Perella, de le remettre en état et de le fortifier, ce qui fut fait, bien qu’à cette époque les cathares n’eussent pas un besoin urgent de se défendre. Cette demande prouve en elle-même que Montségur représentait pour les hérétiques autre chose qu’un éventuel refuge contre leurs ennemis. Dès le début du siècle, les évêques cathares et, en particulier, Guilhabert de Castres, venaient y prêcher ; Esclarmonde de Foix, dont les droits sur Montségur semblent assez imprécis et dont la personnalité reste mystérieure, devait jouir d’une grande influence dans le pays, puisque Foulques lui rend un hommage indirect en déclarant qu’« avec sa mauvaise doctrine, elle a fait nombre de conversions 174 ». Que cette grande dame, devenue parfaite en 1206, ait contribué ou non à rehausser le prestige de Montségur, c’est du début du XIII e siècle que date l’intérêt tout particulier des cathares pour ce château. En 1232, Raymond de Perella en est le seul seigneur, et c’est à lui que Guilhabert de Castres demande la permission de faire de cette place le refuge officiel de l’Église cathare.
À cette époque, G. de Castres était le maître spirituel incontesté de la région et faisait à Montségur des séjours fréquents. Il n’y restait d’ailleurs pas longtemps et continuait à mener la vie vagabonde des ministres cathares. Mais des parfaites dont les couvents – autrefois lieux de retraite pour nobles veuves et maisons d’éducation pour jeunes filles pieuses – avaient été dispersés par la tourmente, se réfugièrent en grand nombre dans les environs de Montségur et se construisirent des cabanes sur la muraille de rocher ; les parfaits, qui menaient une vie contemplative ou instruisaient dans la foi des candidats à l’apostolat, se voyaient également forcés de se chercher un refuge où ils pouvaient se consacrer à une vie de prière et d’étude. Au pied des murs du château s’édifia, peu à peu, un village de cabanes à moitié creusées dans le roc, à moitié suspendues dans les airs au-dessus des précipices ; abri inaccessible et inconfortable qui ne devait pas répugner au tempérament ascétique de ces chercheurs de Dieu.
Autour de ce village collé en nids d’hirondelle contre la haute muraille du château était édifiée une solide palissade de pieux : étant donné la situation du château, les fortifications les plus primitives pouvaient suffire pour repousser n’importe quel assaillant. Mais il est évident que, sur un tel espace et dans de telles conditions, seuls pouvaient vivre des gens prêts d’avance à tous les sacrifices.
De nombreux parfaits et croyants demeuraient au village en bas de la montagne ; c’était un lieu de passage, où les visiteurs de toutes conditions, de tout âge venaient faire des séjours plus ou moins longs, pour monter au château, assister au culte, vénérer les parfaits et repartir ensuite reprendre une vie de bons catholiques. Et par la force des choses, Montségur devenait en quelque sorte le quartier général de la résistance cathare et même de la résistance tout court : la classe de la population la plus dévouée à l’hérésie était justement celle qui était la plus indiquée pour l’organisation d’une révolte.
Décimée, ruinée, exilée, la noblesse du Languedoc était encore forte en 1240 ; la plupart des vassaux du comte de Toulouse, ceux du comte de Foix et une partie des anciens vassaux des Trencavel avaient gardé leurs domaines ; ils n’avaient pactisé avec l’autorité occupante qu’à contrecœur et n’aspiraient qu’à être maîtres sur leurs terres ; et l’Inquisition était pour eux une source de vexations sans nombre. Si le comte de Toulouse était assez puissant pour s’en plaindre ouvertement, ses vassaux se contentaient le plus souvent d’une opposition sourde mais systématique. Les plus forts, tels les frères de Niort, pouvaient au début se permettre de faire une guerre
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