Le bûcher de Montségur
représentant le plus marquant d’une certaine noblesse cathare, ardemment croyante, combative et fanatique.
Si des seigneurs comme le comte de Foix avaient le pouvoir de faire beaucoup de mal à l’Église, des croyants moins puissants mais aussi zélés ne brûlaient pas les couvents, ne les confisquaient pas pour y installer des parfaits, mais maltraitaient les prêtres et saccageaient églises et cimetières. À ceux-là, se joignaient sans doute un grand nombre de soldats vagabonds ou simplement d’énergumènes toujours heureux d’un prétexte de faire des dégâts ; se prétendant hérétiques, ils pouvaient le faire sans encourir le blâme public. Les autorités, favorables à l’hérésie, ne réprimaient pas ce genre de délits ; le peuple, fanatisé ou simplement hostile aux clercs, les approuvait. Les témoignages des contemporains sont formels : non seulement des régions entières étaient acquises à l’hérésie, mais dans celles qui passaient pour catholiques, il n’y eut pas de mouvements de révolte contre les sacrilèges commis par des hérétiques faux ou vrais.
La haine toute spéciale que les cathares professaient pour la croix (instrument du supplice de Dieu) et pour la messe (sacrilège suprême, puisqu’elle prenait pour le corps de Dieu une parcelle de vile matière destinée à se corrompre dans les entrailles des fidèles) les entraînait à des attaques violentes contre les dogmes les plus sacrés de l’Église catholique ; et le seul fait que ces attaques ne semblaient plus révolter personne prouve à quel point l’Église était, dans ce pays, unanimement méprisée. Les villes restées catholiques n’ont pas cherche à défendre leur foi par des croisades locales et des massacres, ce qui est tout à leur honneur, mais montre surtout que dans le Languedoc c’était l’Église cathare qui était en fait la plus forte. Parmi les évêques et les abbés beaucoup étaient de familles hérétiques et montraient de l’indulgence pour l’hérésie. Curés et chanoines fraternisaient avec les croyants, même avec des parfaits, soit par opportunisme soit par sympathie pour une doctrine dont ils reconnaissaient la force morale. Et cependant, pour les cathares, l’Église était l’ennemie par excellence, Babylone et prostituée, siège de Satan et lieu de damnation, et ils ne pouvaient en aucune façon tolérer ce qu’ils appelaient ses superstitions et ses erreurs grossières.
Tous les témoignages concordent sur ce point : dans un pays catholique, où une importante partie des pouvoirs, des terres, des richesses était aux mains de l’Église, où tous les actes de la vie privée et publique étaient contrôlés et sanctionnés par l’Église, le peuple était soit indifférent, soit hostile à la religion catholique, et une nouvelle Église y était installée, favorisée, tolérée par tous, faisant déjà partie intégrante de la vie du pays, gagnant du terrain sans guerre civile, sans désordres spectaculaires ; et cette Église avait pour but avoué la destruction de l’Église établie. Celle-ci, seule visée, seule menacée par ce puissant mouvement à la fois populaire et mystique, perdait peu à peu tout contact avec la vie profonde du pays et se cantonnait toujours davantage dans son rôle de caste sociale, préoccupée avant tout par la défense de ses intérêts.
À la veille des événements qui ont amené sur le Languedoc la catastrophe qui allait lui coûter son indépendance, l’Église ne représentait ni la justice, ni l’ordre, ni la paix, ni la charité, ni Dieu ; elle représentait la papauté. La situation véritablement tragique où elle se trouvait placée allait l’amener à la plus effrayante confusion de valeurs et lui faire subordonner toute idée de morale à la défense de ses intérêts temporels.
Les historiens catholiques (aussi bien ceux du XIII e siècle que ceux du XX e ) ont tous insisté sur le fait que l’hérésie représentait un grave danger pour les pays qu’elle avait « infectés ». Ce qui est parfaitement vrai et confirmé par les événements : ce danger n’était autre que la croisade elle-même. Ce danger était la menace d’une réaction violente de l’Église contre le péril qu’elle courait ; car il ne faut pas oublier que, malgré ses nombreux abus de pouvoir, l’Église faisait partie intégrante de la société, qu’elle en était un des rouages principaux, de mauvaise qualité
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