Le bûcher de Montségur
de Lyon, Jean de Bellesmains, s’inquiéta des progrès de ce mouvement populaire ; c’était, en effet, un scandale que de voir de simples laïcs, peu instruits, idiotae et illiterati, et n’ayant reçu le mandat d’aucune autorité ecclésiastique, prendre sur eux de commenter à leur guise les saintes Écritures. À cette époque, le mouvement avait déjà gagné beaucoup d’adeptes. Lorsque, en 1180, l’archevêque interdit à Pierre Valdo et à ses disciples de prêcher, ceux-ci répondirent qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes et rappelèrent l’exemple de saint Pierre devant le sanhédrin. Ils continuèrent à prêcher et en appelèrent au pape, Lucius III, qui confirma la condamnation prononcée par Jean de Bellesmains. Trois ans plus tard, les Pauvre de Lyon sont déjà mentionnés comme hérétiques à côté des cathares, dans la constitution Ad Abolendam promulguée par ce pape à Vérone 36 .
De catholiques réfractaires aux autorités, les disciples de Pierre Valdo se trouvaient donc mués en hérétiques, et, de ce fait, leur « hérésie » ne fit que croître : peu à peu ils passèrent à la révolte ouverte contre les institutions de l’Église, puis contre son principe même. « Les hérétiques, écrit Bernard de Fontcaude dans son traité contre les vaudois, sont ceux qui adhèrent à une ancienne hérésie ou en fabriquent une nouvelle. Tels sont ceux qui déclarent qu’on ne doit obéissance ni aux prêtres ni à l’Église romaine quod dictu horribile est ! mais uniquement à Dieu. » La position des vaudois est ici clairement définie : ce sont des hommes qui ont fabriqué une hérésie nouvelle (contrairement aux cathares, assimilés aux manichéens) et leur hérésie consiste à ne pas obéir à l’Église romaine, mais uniquement à Dieu.
Les vaudois condamnaient l’Église en se basant sur ce principe que, les chefs de l’Église, étant corrompus, ne pouvaient être les véhicules de la grâce ; rejetant le principe du sacerdoce, ils rejetaient également les autres sacrements, y compris le baptême et l’eucharistie. Ils en vinrent à nier tout le culte catholique, en même temps qu’une grande partie des dogmes : pas plus qu’à la présence réelle du Christ dans le sacrifice de la messe, ils ne croyaient à la communion des saints, ni au purgatoire ; on ne devait prier que Jésus, seul Médiateur à l’exclusion des saints, et il ne fallait pas prier pour les morts, l’homme étant, dès l’instant où il quitte la terre, soit sauvé, soit damné. (Or, le culte des saints et les prières pour les morts tenaient au moyen âge une place immense, difficilement imaginable aujourd'hui 37 .) Les vaudois se refusaient donc à célébrer les fêtes religieuses ; toutefois, ils observaient les dimanches, les fêtes de la Vierge, celles des apôtres et des évangélistes.
Leur religion était donc une religion chrétienne, en partie orthodoxe, mais très simplifiée. Tout comme les catholiques, ils croyaient à l’inspiration divine de l’Ancien Testament ; ils croyaient aux dogmes de la Trinité, de l’Incarnation, à la réalité de la Passion et de la Résurrection du Christ, à l’enfer, au jugement dernier ; bref, à tous les articles du Credo qu’ils acceptaient suivant l’interprétation traditionnelle de l’Église (bien qu’ils ne récitassent pas le Credo, comme ils ne récitaient aucune prière adoptée par l’Église, à l’exception du Pater). Ils déclaraient que l’Église catholique était tombée dans l’hérésie par la faute du pape Sylvestre qui aurait été le fondateur de l’Église romaine, et que tout ce que l’Église avait promulgué et établi depuis le IV e siècle était faux et sans valeur.
L’hérésie des vaudois, malgré leur négation de certains dogmes fondamentaux tel celui de l’eucharistie, consiste ainsi presque uniquement dans le rejet absolu de l’Église romaine. Ce sont des réformateurs trop zélés plutôt que des hérétiques, ils ne semblent pas avoir inventé de doctrines nouvelles ; bien qu’ils aient eu leurs professions de foi, leurs prières et leur littérature apologétique, leur pensée n’était ni aussi cohérente ni aussi constructive que celle des cathares. Leur succès fut grand surtout auprès des classes laborieuses qu’ils séduisaient par leur prédication de la pauvreté, leur amour du travail, et leur piété qui paraissait à bien des catholiques plus
Weitere Kostenlose Bücher