Le bûcher de Montségur
écoutaient les sermons des parfaits devaient avoir une conscience de la solidarité humaine que n’avaient pas les chevaliers qui croyaient gagner le paradis en pourfendant des Sarrasins ; il n’était pas immoral de proclamer que le meurtre d’un Sarrasin est un crime aussi grand que le meurtre d’un père ou d’un frère ; ce n’était pas immoral, c’était peut-être imprudent. Nous verrons par la suite que la guerre forcera les parfaits à se départir de leur intransigeance et à permettre à leurs fidèles de se battre, sans doute même à les y encourager. Mais il n’est pas impossible que leur pacifisme n’ait été une des causes de la mollesse relative de la résistance des Occitans au début de la guerre.
V – LUTTE CONTRE « BABYLONE »
Ces quelques considérations nous montrent que la doctrine cathare pouvait présenter certains dangers du point de vue social, bien que l’examen objectif de la situation soit pratiquement impossible faute de données concrètes. Mais ce qui est certain, c’est que, dans le Languedoc, les pouvoirs publics, aussi bien que les princes et les barons, que les consuls et les grands bourgeois, ont été d’une manière générale favorables à l’hérésie. En fait, le caractère anarchique de cette religion inquiétait si peu les grands seigneurs et les consuls qu’ils y adhéraient eux-mêmes ou y faisaient adhérer leurs femmes et leurs sœurs. Si la religion cathare était combative, ce n’était pas contre les pouvoirs temporels, mais contre l’Église.
L’Église était, comme nous l’avons indiqué plus haut, la rivale et souvent l’ennemie de la noblesse, et ceci depuis des siècles. Si, au moyen des croisades, l’Église avait su mobiliser en partie à son profit l’ardeur guerrière et conquérante de la chevalerie, la noblesse non croisée était, dans tous les pays, à l’affût des biens de l’Église qu’elle convoitait par le droit du plus fort ; l’Église, de son côté, enrichie de siècle en siècle par les donations, les testaments, les impôts de plus en plus nombreux qu’elle prélevait sur les villes et les campagnes, s’était en grande partie sécularisée. Elle gérait d’immenses domaines et entretenait des milices pour les défendre (on a vu que certains évêques, tel Bérenger de Narbonne, allaient jusqu’à faire ramasser leurs impôts par des capitaines de routiers ; si ces cas étaient rares, ce seul détail indique que l’Église ne plaisantait pas sur le non-payement des dîmes). Par ces impôts, prélevés sur des populations déjà pauvres, l’Église faisait concurrence aux seigneurs ; par ses richesses en terres et en châteaux elle irritait leur ambition, les hommes de guerre n’ayant souvent que mépris pour les tonsurés. Partout où ils le pouvaient les seigneurs entraient en procès ou même en guerre contre les évêchés ou abbayes. Les prélats (à la fin du XII e siècle) commençaient à abuser des excommunications, qui restaient toujours un grave ennui d’ordre administratif mais ne provoquaient plus la terreur, et qui, bien souvent, demeuraient sans effet pour avoir été fulminées sans discernement.
Si dans des pays où nul ne cherchait à mettre en doute la doctrine de l’Église, il existait un antagonisme chronique entre la noblesse et l’Église, dans des pays où l’hérésie était puissante, cet antagonisme prenait l’aspect d’une guerre ouverte. Faut-il croire que c’est par intérêt et pour s’emparer des biens de l’Église que tels grands seigneurs étaient devenus hérétiques ? Il est certain que les hauts barons du Languedoc et, en premier lieu le comte de Toulouse, étaient grands spoliateurs de biens d’Église. (Raymond VI reconnaît lui-même, en 1209, s’être livré à des actes de violence contre des moines et des abbés, avoir emprisonné l’évêque de Vaison, déposé l’évêque de Carpentras, confisqué des châteaux et des bourgs aux évêques de Vaison, de Cavaillon, de Rodez, aux abbés de Saint-Gilles, de Saint-Pons, de Saint-Thibéry, de Gaillac, de Clarac, etc. ; ce qui prouve tout autant la rapacité du comte que l’extrême richesse des évêchés et des abbayes 31 .) La noblesse, tout autant que le peuple, reprochait à l’Église sa richesse excessive et hors de proportion avec les services qu’elle rendait.
Les comtes de Toulouse et de Foix, les vicomtes de Béziers confisquaient les biens d’Église pour s’enrichir ;
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