Le bûcher de Montségur
authentiquement chrétienne que celle de certains prêtres. Bien qu’ils fussent, depuis 1184, officiellement catalogués comme hérétiques, ils s’attiraient, même au début du XIII e siècle, les sympathies de personnes catholiques qui voyaient en eux les « pauvres de Dieu », leur faisaient volontiers l’aumône et les laissaient chanter dans les églises 38 . Cependant, les papes dénonçaient les vaudois comme des hérétiques dangereux, aussi détestables que les cathares.
Le fait est que, dans le Languedoc du moins, ces deux mouvements hérétiques qui se ressemblaient si peu et s’affrontaient à l’occasion dans d’ardentes polémiques furent souvent si bien confondus qu’il est difficile de déterminer à quels hérétiques les autorités avaient affaire, dans telle ou telle localité (du moins en ce qui concerne les simples croyants). Cette confusion venait de ce que 1°les deux hérésies étant également hostiles à l’Église, celle-ci les mettait sur le même plan ; 2°les vaudois, dont l’origine était récente, ont eu tendance à calquer leur organisation et leurs mœurs sur celles des cathares.
Tout comme ces derniers, les vaudois avaient leurs parfaits et leurs croyants ; les parfaits étaient élevés à cette dignité par une cérémonie également appelée consolamentum , et qui consistait en l’imposition des mains, et était suivie de l’abandon des biens à la communauté, du vœu de pauvreté et de chasteté ; sans avoir leurs évêques, les communautés de vaudois étaient dirigées par des supérieurs, des diacres et des prêtres, et leur organisation rappelait celle des ordres religieux. Elles avaient leurs maisons, qui ressemblaient à des couvents, où les parfaits vaudois pratiquaient le jeûne et s’adonnaient à l’étude et à la prière ; leurs abstinences n’étaient pas aussi rigoureuses que celles des cathares ni fondées sur des bases dogmatiques ; cependant, tout comme les cathares, les vaudois passaient pour de grands ascètes.
Ils consacraient leur vie à la prédication et surtout à l’interprétation des Écritures, qu’ils mettaient à la portée du peuple en faisant circuler un grand nombre de Bibles traduites en langue vulgaire. Bien qu’on eût reproché à certains d’entre eux leur ignorance, ils étaient avides d’instruire le peuple, et tout comme les cathares ils avaient leurs écoles, où ils expliquaient aux enfants les Évangiles et les Épîtres 39 .
Les parfaites vaudoises prêchaient également, le droit à la prédication étant reconnu à tout chrétien, en cela les vaudois étaient plus révolutionnaires que les cathares ; chez ces derniers, en effet, les femmes semblent n’avoir exercé que très rarement l’office de la prédication.
Comme chez les cathares, leur principale et presque unique oraison était le Pater, qu’ils récitaient un certain nombre de fois (parfois trente à quarante fois), plusieurs fois par jour ; à la différence des cathares, pour lesquels la confession n’était pratiquée que sous forme d’absolution publique des péchés par l’assemblée de l’Église, les vaudois pouvaient se confesser à un de leurs frères, et être absous.
Comme les cathares, enfin, les vaudois étaient très sévères pour l’Église romaine (qu’ils appelaient Babylone) et ne manquaient aucune occasion de flétrir ses « superstitions » et ses abus. En cela, du moins, ils faisaient cause commune avec les hérétiques, dont on les distinguait cependant dans le pays en leur donnant le sobriquet d’ ensabatés ( ensabatatz ). Et il est fort probable que dans le Languedoc, où les cathares dominaient (les vaudois étaient surtout nombreux dans les Alpes et en Lombardie), les communautés vaudoises avaient fini par se laisser pénétrer par les idées et les coutumes des communautés cathares.
Dans le peuple des campagnes et parmi les artisans, il y eut sans doute beaucoup de vaudois ; il y en avait moins dans les classes dirigeantes : à titre d’exemple, sur la liste des deux cent vingt-deux personnalités hérétiques dressée à Béziers en 1209, une dizaine de noms seulement sont accompagnés de la mention val (valdenses). Et si leurs adversaires eux-mêmes reconnaissent qu’ils étaient « beaucoup moins mauvais » que les autres, il ne semble pas que, lors des persécutions, une différence ait jamais été faite entre les cathares et les vaudois. L’Église cathare, la plus forte et la
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