Le bûcher de Montségur
hostiles. Or, la noblesse du Midi de la France, sans être pire que celle des autres pays, ajoutait à ses nombreux défauts celui de mépriser ouvertement la religion catholique ; comment s’étonner qu’elle ait encouru, de la part de gens d’Église, des reproches dont les clercs étaient déjà si prodigues envers les nobles catholiques ?
Les barons du Nord ne respectaient pas toujours leurs serments et saisissaient la moindre occasion pour se révolter contre des suzerains qu’ils avaient juré sur l’Évangile de servir fidèlement. Ceux du Midi, quand ils étaient croyants cathares, donc adeptes d’une religion qui tenait tout serment pour illicite, devaient considérer les serments qu’ils étaient obligés de prêter comme de simples formalités, vides de toute valeur morale (ou du moins étaient-ils plus libres de le faire quand cela servait leurs intérêts). Peut-être ont-ils été plus souvent « parjures » que les hommes du Nord ? Mais, d’autre part, leur religion condamnait toute espèce de mensonge, ce qui impliquait l’obligation de garder dans sa conduite une certaine droiture. La religion ne devait pousser à se parjurer que des gens qui l’eussent fait de toute façon. Cependant, même les plus honnêtes étaient souvent obligés d’entretenir des rapports avec l’Église catholique qui détenait une grande partie des fonctions officielles et administratives du pays, il y avait donc là forcément un encouragement à l’hypocrisie. Il est juste de dire que beaucoup de petits seigneurs avaient franchement et complètement rompu tout lien avec l’Église établie : dans le Toulousain, dans l’Ariège, le Carcassès, des villages, parfois des régions entières, avaient depuis longtemps abandonné le culte catholique ; tous les habitants y recevaient le consolamentum à leur lit de mort, les parfaits célébraient leur culte dans les églises abandonnées, et l’on cite l’exemple du château de Termes où (avant l’arrivée des croisés) aucun service religieux n’avait été célébré depuis plus de vingt-cinq ans. Les seigneurs faidits (ceux qui abandonnèrent leurs terres à l’arrivée des croisés) étaient des croyants trop intransigeants pour simuler une soumission à l’Église ; ils étaient nombreux. Il est logique de supposer que des hommes capables de sacrifier à leur foi leurs biens et leur sécurité n’étaient pas des gens adonnés à l’usure, aux rapines et à la débauche.
Les bourgeois des villes du Midi semblent avoir été des gens combatifs ; les chevaliers, riches ou pauvres, quand ils ne passaient pas leur temps à la cour et aux fêtes, ne restaient pas les trois quarts de l’année à cultiver leur jardin, car la gestion de leurs domaines exigeait une lutte armée permanente contre les voisins, les bandits, voire des vassaux ou des bailes insoumis. Pas plus que l’Église catholique, l’Église cathare n’avait pas transformé les loups en agneaux ; mais sans doute proclamait-elle avec plus de violence son horreur du meurtre : le croyant cathare ne pouvait jamais avoir la conscience de se battre pour une cause sainte. Il en fut du moins ainsi dans les premières années de la croisade.
Les cathares avaient la plus haute idée de la valeur et la dignité de la vie : ainsi, ils n’admettaient pas que le Dieu de l’Ancien Testament ait pu être bon, puisqu’il avait noyé tous les peuples de la terre lors du Déluge, fait périr le Pharaon et son armée, les habitants de Sodome, etc. ; qu’il approuvait les meurtres et ordonnait aux Israélites de massacrer les populations de Canaan. Pour les catholiques, la mort des méchants ne semblait poser aucun problème ; la morale des cathares était plus exigeante et plus nuancée. En se basant sur l’Évangile, ils condamnaient absolument la peine de mort et même toute peine afflictive et prétendaient que les criminels ne devaient pas être punis, mais soumis à un traitement qui pût les rendre meilleurs. Sans doute leur était-il facile de parler ainsi puisque la justice était entre les mains de leurs adversaires. Il n’en est pas moins troublant de constater que des doctrines aussi humaines étaient dénoncées par l’Église comme scandaleuses. Il est également compréhensible qu’elles aient pu séduire beaucoup de personnes, en un siècle qui apparaît, de ce fait, moins cruel et primaire que les observateurs superficiels ne le croient d’habitude.
Ceux qui
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