Le bûcher de Montségur
crimes de sorcellerie et de commerce avec le diable.
Encore l’Église n’assimilait-elle pas a priori l’hérétique au sorcier, et se montrait parfois plus compréhensive que les pouvoirs publics. Ainsi saint Bernard, parlant des hérétiques massacrés à Cologne, écrit au pape : « Le peuple de Cologne a dépassé la mesure. Si nous approuvons son zèle nous n’approuvons nullement ce qu’il a fait, car la foi est œuvre de persuasion, on ne l’impose pas 40 . » Au XI e siècle Wazon, évêque de Liège, proteste contre les cruautés commises par les Français qui, dans leur haine farouche de l’hérésie, s’étaient mis à massacrer toutes les personnes ayant le teint pâle : la réputation d’ascétisme des parfaits était aussi ancienne qu’universellement répandue.
L’Église d’avant l’Inquisition n’était pas plus intolérante que la société laïque ; sans doute peut-on l’accuser d’avoir créé elle-même cet esprit d’intolérance dont elle réprouvait parfois les excès ; cependant il serait vain de prétendre séparer la conscience de l’Église de celle des peuples chrétiens. Le catholicisme était autre chose qu’une administration internationale représentée par une armée de fonctionnaires soumis à l’archevêque de Rome.
L’Église disposait de pouvoirs trop grands pour ne pas céder à la tentation d’en abuser ; mais le plus souvent elle se contentait de maintenir l’ordre public dans les domaines qui étaient de sa compétence, d’une façon plus ou moins brutale suivant les cas. Il n’est pas plus immoral de brûler un homme pour sorcellerie que d’en pendre un autre pour vol d’un jambon. Si l’Église assumait des fonctions de justice pénale, c’est qu’une grande partie des fonctions administratives était entre ses mains ; elle n’avait pas eu à usurper ces fonctions : elle les avait assumées à une époque où personne d’autre n’était capable de s’en charger.
Les personnes qui professaient des opinions religieuses manifestement contraires aux enseignements de l’Église, et qui refusaient de renoncer à leurs erreurs, étaient donc passibles de la mort par le feu, de par les lois en vigueur. Mais l’arme véritable de l’Église dans la lutte contre les hérésies était, en principe, la persuasion. Une persuasion qui prenait le plus souvent le caractère de l’intimidation pure et simple : l’hérétique supposé risquait l’excommunication, avec toutes ses conséquences : retranché de l’Église l’excommunié était pratiquement mis au ban de la société. Dans un pays comme la France du Nord, où peuple et clergé étaient également fanatiques, le siège apostolique devait plutôt songer à freiner le zèle de ses évêques qu’à envoyer des missionnaires. Dans le Midi de la France, foyer notoire d’hérésie, les papes organisent des campagnes de prédication, et tentent de réformer les mœurs de l’Église.
Ces dernières tentatives n’ont guère de résultats, si l’on s’en remet au témoignage d’Innocent III sur le clergé occitan. La prédication n’a guère plus de succès.
Saint Bernard lui-même s’était pourtant fait l’apôtre de la foi catholique et était venu prêcher dans le Midi en 1145, en compagnie du légat Albéric, évêque d’Ostie, et de Geoffroy, évêque de Chartres. Son témoignage est formel : l’hérésie triomphe. « Les basiliques sont sans fidèles, les fidèles sans prêtres, les prêtres sans honneur. Il n’y a plus que des chrétiens sans Christ. Les sacrements sont vilipendés, les fêtes ne sont plus solennisées. Les hommes meurent dans leur péché. On prive les enfants de la vie du Christ en leur refusant la grâce du baptême 41 . » Ceci se passait soixante ans avant la croisade. Même en supposant que saint Bernard, dans sa pieuse consternation, ait exagéré l’étendue du désastre, ce qu’il dit prouve assez la décadence de l’Église dans les régions qu’il a visitées.
Dans la cathédrale d’Albi, le jour de son arrivée, saint Bernard prêche devant trente personnes. Il est vrai que le troisième jour l’immense église est déjà trop petite pour contenir la foule des auditeurs enthousiasmés par la prédication du saint ; mais cet enthousiasme n’était sans doute qu’un feu de paille, et la prédication de saint Bernard resta sans effet.
La croisade de prédication envoyée par le pape Alexandre III en 1179 (malgré
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