Le bûcher de Montségur
l’abjuration forcée et la spectaculaire condamnation de Pierre Mauran, dit « saint Jean l’Évangéliste ») eut encore moins de succès : quelques hérétiques impressionnés se soumirent en apparence, mais après le départ des légats, le peuple, ému par cette intrusion brutale d’une puissance étrangère dans les affaires du pays, manifesta plus ouvertement son respect pour l’hérésie. L’année suivante le pape commence à songer à faire appel au bras séculier : au concile œcuménique de Latran (1179) il déclare : « Bien que l’Église, comme le dit saint Léon, se contente d’un jugement sacerdotal et n’emploie pas les exécutions sanglantes, elle doit pourtant recourir aux lois séculières et demander l’aide des princes, afin que la crainte d’un supplice temporel oblige les hommes à employer le remède spirituel. Donc, comme les hérétiques, que les uns nomment cathares, les autres patarins et les autres publicains, ont fait de grands progrès dans la Gascogne, l’Albigeois, le pays de Toulouse et ailleurs, qu’ils y enseignent publiquement leurs erreurs et tâchent de pervertir les simples, nous les déclarons anathèmes, avec leurs protecteurs et recéleurs 42 … »
Ceci est déjà un aveu d’impuissance : le pape constate que l’Église ne peut plus lutter contre l’hérésie par ses propres moyens. Dans le Midi de la France comme dans le Nord de l’Italie, Rome ordonne aux pouvoir tant ecclésiastiques que séculiers de mener une véritable campagne de répression policière contre les hérétiques. Le pape Lucius III, à la suite du concile de Vérone, enjoint aux évêques de faire visiter leurs diocèses pour rechercher les hérétiques, et prescrit aux seigneurs et aux consuls d’aider les évêques dans cette tâche sous peine d’excommunication et d’interdit. Le légat du pape, Henri, abbé de Clairvaux (plus tard évêque d’Albono), ne se contente pas d’organiser des conciles pour réformer les mœurs du clergé, il dépose l’archevêque de Narbonne, et parvient même à réunir un certain nombre de chevaliers catholiques du pays, qui viennent mettre le siège devant Lavaur, un des principaux foyers de l’hérésie en Languedoc (1181).
La tactique des grands féodaux du Languedoc à l’égard de Rome ne varie guère : elle consiste à promettre et à ne pas tenir les promesses. C’était, de leur part, la seule attitude possible. Si Raymond V, poussé par des considérations d’ordre politique, tentait encore de prendre ouvertement le parti de l’Église, son fils, constatant l’importance de l’élément hérétique dans le pays, fera son possible pour vivre en paix entre les deux religions rivales.
Raymond VI succède à son père en 1194. Quatre ans plus tard, Lothario Conti, cardinal-diacre, âgé de trente-huit ans seulement, mais issu de la haute noblesse romaine, et aussi populaire dans sa ville qu’estimé des milieux ecclésiastiques de Rome, est élu pape sous le nom d’Innocent III. L’admiration qu’inspirent ses capacités et son caractère est telle que malgré son âge, malgré l’éloignement des affaires où l’avait tenu son prédécesseur Célestin III (de la famille des Orsini, ennemie traditionnelle des Conti), malgré le fait qu’il n’a même pas encore été ordonné prêtre, la décision des cardinaux est presque unanime et le lendemain même de la mort de Célestin III le jeune cardinal-diacre se voit promu au rang de chef de la chrétienté.
Il assumera ce rôle avec une sincérité implacable : pendant les dix-huit ans de son pontificat il se conduira en véritable remplaçant de Dieu sur la terre dictant sa volonté aux rois et aux peuples sans égard pour les intérêts particuliers, sans hésitations devant les difficultés pratiques auxquelles ses ordres pouvaient se heurter. Homme d’action et théoricien, il pose comme postulat la suprématie absolue de l’Église, et se voit appelé à diriger les rois pour les forcer à servir les intérêts de Dieu.
Si Innocent III a su soumettre Philippe Auguste et Jean sans Terre, obtenir l’hommage direct du roi d’Aragon, lancer la chevalerie allemande contre les païens du Nord et la chevalerie franque contre les Sarrasins (croisade qui aboutira malgré lui à la prise de Constantinople, ce dont il profitera pour essayer d’étendre son empire sur l’Église grecque), s’il réussit à imposer partout ses légats comme des ministres
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