Le bûcher de Montségur
profonde de l’Église par la prédication laïque ou semi-laïque.
Mais avec les hérétiques déclarés, cette politique conciliante n’était pas de mise. Le pape peut encore admettre que l’on condamne l’Église militante, non le dogme. Il est d’ailleurs presque aussi sévère envers les vaudois qu’envers les cathares.
Il envoie donc des prédicateurs. Ce sont, en premier lieu, les légats eux-mêmes. Ce sont des hommes à la foi éprouvée, moines cisterciens, membres de l’ordre réformé par saint Bernard ; cet ordre représentait, dans l’Église, le parti de l’austérité, de la réforme des mœurs et de la discipline, le parti de l’intransigeance, la force agissante de l’Église. Les légats agissent, comme nous l’avons vu, mais ils cherchent aussi à convaincre : dans ce pays qui échappe à l’Église, les ministres plénipotentiaires du pape sont réduits au rôle de prédicateurs, et de prédicateurs mal écoutés.
Ils procèdent d’abord par la menace, mais depuis longtemps les menaces n’agissent plus. Ils se lancent alors dans la bagarre et, forcés de reconnaître ainsi le droit à l’existence de leurs adversaires honnis, les convient à des conférences pour discuter avec eux d’égaux à égaux.
Nous avons déjà évoqué la figure de Pierre de Castelnau, archidiacre de Maguelonne, moine à l’abbaye cistercienne de Fontfroide. Il avait pour compagnon Frère Raoul, de Fontfroide également. Enfin, pour donner plus d’autorité à leur mission, le pape leur a adjoint pour chef et compagnon l’abbé de Cîteaux lui-même, général de l’ordre et, de ce fait, une des premières personnalités de l’Église. Arnaud-Amaury, cousin des vicomtes de Narbonne, d’abord abbé de Grandselve, un des grands monastères cisterciens du Languedoc, était un homme du pays, et d’autant plus zélé à combattre l’hérésie qu’il la connaissait de près.
Comment un ordre raffermi par saint Bernard dans les pures traditions de l’austérité, de l’obéissance et de la prière a-t-il pu se choisir pour chef ce batailleur né, cet homme des mesures extrêmes, ce passionné aussi éloigné de la charité chrétienne qu’on peut l’être ? S’il n’avait pas les vertus évangéliques capables de ramener à l’Église les brebis égarées, du moins sut-il organiser une grande campagne de prédication. Mais quel que fût leur zèle apostolique, que pouvaient ces moines déjà d’avance suspects au peuple, là où saint Bernard lui-même avait échoué ?
Les légats mettent donc en jeu leur autorité personnelle. Les débats qu’ils organisent ont un succès considérable ; pour exciter encore davantage l’intérêt des auditeurs, ils décident de faire choisir dans chaque ville où ils vont prêcher un jury composé d’arbitres chargé de décider de la valeur des arguments des deux partis. De détenteurs officiels de la vérité absolue, ils descendent au rang des modestes prédicateurs, obligés de convaincre et de prouver par des raisonnements l’excellence de leur doctrine. Le jury, composé moitié de catholiques, moitié d’hérétiques, a (en principe) le droit de leur donner tort et de donner la palme à leurs adversaires. Ils prétendent triompher par la seule vérité de l’orthodoxie.
En 1204, Pierre de Castelnau et Frère Raoul tiennent une de ces grandes conférences publiques à Carcassonne, en présence du très catholique Pierre II d’Aragon. Treize catholiques et treize cathares sont pris pour arbitres. Bernard de Simorre, évêque cathare de Carcassonne, prêche ouvertement et expose la doctrine de son Église. Si la présence du roi semble avoir fait pencher la balance en faveur des légats, il n’y eut pas de conversions. Ni Pierre de Castelnau ni Arnaud-Amaury ne devaient se faire beaucoup d’illusions : leur propagande attirait une foule de curieux, les gens du Midi étant grands amateurs de joutes oratoires, mais leurs discours ne parvenaient à convaincre que les catholiques ; pour les hérétiques, ils restaient lettre morte.
Ces conférences n’exaspéraient même pas les passions populaires : il ne semble pas qu’elles aient donné prétexte à des bagarres entre partisans des deux religions. Les catholiques de ce pays-là manquaient décidément d’esprit combatif. Bien plus : les missionnaires du pape, entourés d’une brillante escorte, avec leurs superbes montures, leurs riches attelages portant leurs bagages et
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