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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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l'agacement et de la commisération à l'égard de son voisin. C'était un Suisse carré et sans doute habile en affaires. N'ayant cure qu'il l'accuse d'être un copiste, il considérait l'autre comme un rêveur avide d'honneurs lors que lui se voulait un manufacteur efficace, recherchant les moyens de fabriquer en série, et par conséquent de vendre par masse, les instruments les plus utiles aux vaisseaux du roi. Il traîna un long moment dans le quartier, interrogeant les portières et les voisins de Leroy.
    Il fit enfin visite à Maître Vachon, son tailleur, pour y passer commande de deux manteaux suivant un modèle militaire qu'il affectionnait, en dépit des objurgations de l'artisan qui n'appréciait rien tant que ses nobles pratiques lancent la mode ou plutôt la précèdent. Il songea avec un serrement de cœur que des deux défroques perdues l'une réchauffait la veille Émilie et l'autre servirait de suaire à Freluche.
    Au Grand Châtelet, Bourdeau n'avait pas reparu, mais trois messages l'attendaient. L'un de Le Noir l'avertissait d'avoir à se trouver au pavillon de Brimborion du Château de Bellevue, à trois heures de relevée, le second venait de Mme Campan qui souhaitait à tout coup l'entretenir avant la grand'messe de dimanche à Versailles, enfin un mot de l'amiral d'Arranet le priait de passer à Fausses-Reposes à six heures. Il semblait que tout bougeait. Nicolas prit ses dispositions. Il pouvait avoir besoin d'aide et il était raisonnable d'assurer sa sécurité. Rabouine qui traînait là fut engagé comme cocher et on lui adjoignit une mouche, ancien maître d'armes failli, homme au courage éprouvé. Il repassa en coup de vent rue Montmartre pour se changer en vue des rencontres du jour.
    Un quart d'heure avant le rendez-vous, sa voiture pénétrait dans la cour de Bellevue. Un laquais qui semblait l'attendre lui indiqua la direction des jardins qui descendaient en pente douce vers Brimborion. Les souvenirs se bousculaient. Ici il avait obtenu de la Pompadour vieillissante que soit adouci le supplice de Truche de la Chaux 156 . Par deux fois déjà au cours de cette enquête, il avait croisé le fantôme de la bonne dame. Pensif, il descendait cette colline aux fleurs dans son dépouillement hivernal, tout enveloppée de l'humidité du fleuve proche. Parvenu à la levée, il se mit à contempler les coches d'eau qui descendaient et les barques de pêcheurs dont les silhouettes se dérobaient soudain happées par les nappes de brouillard. Un bruit d'équipage le fit se retourner. Une petite calèche de jardin s'arrêta en dérapant sur le gravier devant le portail du pavillon. Une femme emmitouflée en sortit ; à son port de tête et à son altière précipitation, il reconnut Mme Adélaïde. Quelle étrangeté que cette princesse, qui s'était tant opposée à Madame de Pompadour, occupât avec ses sœurs des lieux consacrés aux amours du feu roi son père. Elle entra sans un regard pour un personnage humblement incliné qui attendait aussi à l'ombre du pavillon. Nicolas, avec un frémissement, reconnut Balbastre. Il ralentit le pas pour le laisser avant lui pénétrer dans la demeure. À son tour, un laquais l'introduisit à la suite du musicien dans un petit salon qui sentait la fumée de bois humide. Assise près de la cheminée, la princesse tisonnait avec rage un feu qui tardait à prendre.
    — Peste soit de ce bois vert !
    Nicolas se précipita. Il s'agenouilla et se mit à souffler sur le feu qui, après quelques craquements, se développa haut et clair.
    — Ah ! Le petit Ranreuil. Mon père avait bien raison de compter sur lui.
    Il se releva ; elle lui tendit la main qu'il baisa avec une sorte de dévotion. Le visage de Madame Adélaïde s'était éclairé en le reconnaissant. Depuis des années il ne l'avait croisée que de loin à la cour ; elle avait vieilli. La chevelure peignée en arrière, gonflée et poudrée, était ornée d'une coiffe de dentelle formant nœud au sommet. Un mantelet gris à col de fourrure laissait apercevoir un corps d'habit en velours vert. Dieu, pensait-il, qu'elle ressemble à son père. La splendeur de la jeune fille de naguère avait laissé place à un visage dur qu'adoucissaient les grands yeux bruns, ceux du feu roi. En dépit du blanc et du rouge répandus, des plis d'amertume soulignaient la sévérité des lèvres serrées au-dessus d'un menton qui commençait à se dédoubler.
    — Comme nous sommes aise de vous voir,

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