Le cadavre Anglais
leur exil et exprime la haine qu'il ressent à l'égard de la France. Nous faisons en sorte que cette correspondance tombe entre les mains des services anglais. Le pion , approché par eux, tenté par eux, circonvenu par eux, cède enfin à leurs instances. L'arrestation confirme les certitudes d'en face, la machine est en marche.
Sartine jubilait de ce récit si bien mené dont la perspective d'exécution le ravissait.
— Un accident fait échouer le plan et, au risque de tout éventer, vous apparaissez dans un paysage que rien ne devait venir troubler. Que venait faire rue Saint-Germain-l'Auxerrois le sieur Le Floch le nez au vent ? Quel besoin avait-il de jeter le trouble dans une affaire si bien montée ? Comme de coutume, il apparaît et alors tout est à craindre ! Le cadavre surgit et le désordre suit au moment exact où chaque détail ménagé visait à ce qu'il n'y en eût point…
Le ton égal au début montait crescendo.
— … Notre pion incarcéré au Fort-l'Évêque préparait son évasion. Tout suivait son cours pour le mieux. Hélas ! L'échappée tourne court. Vertige, maladresse, il lâche sa corde, il glisse, il choit et voilà notre pion au sol, mort et sans aucune utilité pour quiconque. Non ! je me trompe. Pour le sieur Le Floch, quelle aubaine ! Curieux et vorace de ce qu'il n'entend pas, de tout ce à quoi il n'a point accès, que croyez-vous qu'il fait ? Il muse, renaude, renifle, retourne, s'empare du cadavre et ordonne qu'on l'ouvre, car c'est son habitude, son délassement avec ses chirurgiens et ses bourreaux. Il ne trouve rien si ce n'est de quoi satisfaire sa macabre curiosité et sans en référer, sans ordres, sans instructions, il anime et développe une maladroite enquête, et pourquoi ? C'est la tentation de la connaissance. A-t-on naguère exalté de trop de fumées d'encens l'éclat de ses mérites qu'il oublie d'où il vient ? Certes il a du talent, mais est-ce un talent nécessaire ?
Nicolas souriant écoutait Sartine.
— Que n'êtes-vous encore, monseigneur, lieutenant général de police, car après cette diatribe j'aurais eu le regret de vous remettre la démission de mes fonctions, conservant l'office qui m'appartient et qui me vient du feu roi, mon maître.
— Grâce à ma bienveillance, ne l'oubliez pas !
— J'ai garde de ne rien oublier. Il n'y a que celui qui mérite un bienfait qui sache le reconnaître.
— Quelle arrogance ! Je vous revois arrivant à Paris, Breton boueux à la triste figure.
— Ne gâchez pas, monseigneur, par des paroles irréparables, une fidélité à laquelle m'attachent tant de liens. En la pressant de la sorte, en me traitant en ennemi, craignez de la réduire à rien.
L'amiral d'Arranet s'avança.
— Monseigneur, ce débat est stérile et les paroles que tous deux prononcez…
Sartine eut un mouvement d'irritation.
— … vous les regretteriez un jour l'un et l'autre. Permettez à un vieil officier de vous affirmer, monseigneur, que votre autorité n'est pas en cause. Le marquis de Ranreuil…
L'amiral insista sur la qualité.
— … vous a donné par le passé des preuves éclatantes que sa parole ne saurait être tenue pour rien. Je suis d'avis qu'on l'écoute. Il n'agit jamais sans de bonnes et déterminantes raisons. L'échec de cette affaire aurait dû nous inciter à l'éclairer dès lors qu'il enquêtait sur le mort présumé du Fort-l'Évêque. Mesurez que nous avions peut-être quelque chose à apprendre de lui. Encore pour le savoir faut-il au moins l'écouter. Votre génie, monseigneur, comprendra le bon sens qui sous-tend mes propos.
Sartine grommela des paroles que personne ne comprit et fit un signe de la main au commissaire.
— Monseigneur, ce n'est pas la curiosité qui m'a précipité sur cette affaire. Le hasard a voulu qu'elle se déroulât presque sous mes yeux et que, seul représentant de la force publique, elle m'ait saisi plus que je ne l'aie prise. S'étant imposée à moi, une multitude de détails m'ont conduit à y déceler ce que vous vous obstinez à ne pas vouloir y voir.
Un mouvement furieux de Sartine fut prévenu par l'amiral.
— Votre propos, dit-il à Nicolas, semble suggérer que vous détenez une autre vérité sur la mort de notre jeune horloger.
— Allons, comment cela serait-il possible ? Et pourquoi Le Floch ne s'en est-il pas ouvert à moi alors que je le recevais peu après l'événement ?
— Monseigneur, j'ai peut-être tort, mais
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