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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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salon.
    — Monsieur, dit Nicolas, en dépit du passé qui ne devrait pas m'inciter à faire fond sur votre loyauté d'aujourd'hui, je veux bien croire à votre bonne foi. Encore un mot. Où peut-on trouver ce Prussien-là ?
    — Je l'ignore tout à fait. Je voudrais vous exprimer…
    — C'est superflu. Serviteur, monsieur.
    Il remonta la colline le cœur lourd du souvenir de Mme de Lastérieux 158 , mais au fond de lui-même l'âme apaisée d'avoir résisté aux basses tentations de la rancune. Le nom de von Issen lui rappelait quelque chose. Il conviendrait d'élucider cela. Rien ne devait être abandonné au hasard. Il consulta sa montre qui piquait cinq heures. Il ordonna à Rabouine d'aller au pas ; il souhaitait réfléchir. La nuit tombait quand il arriva à l'hôtel d'Arranet.
    Tribord vint lui tenir la porte et le débarrasser.
    — M'est avis, dit-il à mi-voix, que ça fraîchit à l'intérieur. Paraît que l'amiral jette de l'huile à la baille, mais il y a gros à parier que ça va tanguer fort. Le ministre est là qui rouscaille !
    — Merci du conseil. Breton, je ne suis guère sujet au mal de mer. J'en ai pris par le travers, et des plus grosses, sur ma plate en baie de Vilaine !
    Le salon était éclairé par les seules flammes de la cheminée, jouant sur les visages de Sartine et de M. d'Arranet, debout face à face. Il les salua. L'amiral recula et s'enfonça dans l'ombre.
    — Nicolas, dit le ministre, que je suis aise de vous voir. Il faut désormais vous faire quérir si l'on veut avoir la chance de vous tenir. L'autre soir, vous vous êtes, sans vergogne, enfui à mon approche.
    — Monseigneur, vous ne pouvez penser cela ! À quelle occasion vous aurais-je ainsi manqué ?
    — À la curée froide de la cour des Cerfs.
    — Votre présence m'a échappé et croyez que je le regrette. M. Thierry m'accaparait sans doute à ce moment-là.
    — À quelles fins ?
    — Dans l'attente d'une entrevue avec Sa Majesté. Je ne peux croire que vous pouvez l'avoir ignoré.
    — Sa Majesté ! Un entretien avec le roi ? M. Le Noir aurait-il été remplacé sans que je n'en sache rien ? Et à quel sujet, me direz-vous ?
    — Je ne suis pas autorisé à en faire état.
    Sartine joignit les mains comme s'il les voulait maîtriser.
    — Nicolas, mon ami, mon ami… Ne le sommes-nous pas ?
    Ces changements de registre en douceur ou en haine, ou même en fureur éclatée, lui étaient coutumiers. Le chaud et le froid…
    — Je souhaite vous parler en toute clarté. Vous aurez compris, et je ne vous ferais pas l'injure d'en douter, qu'une opération secrète s'était imposée à nous par raison d'État. Il s'agissait, dans un domaine bien particulier, de berner les Anglais. Je me souviens m'être ouvert devant vous naguère du projet nourri alors que le secret du roi, traversé par des puissances étrangères, avait été abandonné, d'établir des moyens neufs de connaissances des forces, du degré d'armement, des essais d'artillerie, du trafic et d'autres choses encore, de la marine anglaise.
    — De la précision des horloges en vue du calcul de la longitude, par exemple.
    — Entre autres, oui. C'est pourquoi un pion a été placé sur l'échiquier…
    Nicolas eut la vision fugitive d'un corps gisant dans la neige et d'un cadavre sur la table de la basse-geôle.
    — … en position visible dans l'atelier de M. Le Roy et cela pour prendre l'ennemi sur le temps 159 .
    — Dans quelles vues ?
    — Conduire tout d'abord l'adversaire à admettre que le transfuge anglais, d'origine française et protestant de surcroît, en viendrait à souhaiter se venger de la couronne. Cela doublait la garantie de le voir saisir l'hameçon que nous avions garni. On arrêtait le pion soupçonné d'être un espion, on l'incarcérait au Fort-l'Évêque. Pourquoi là ? Au contraire de la Bastille ou de Vincennes, c'est assurément la prison d'où l'on s'évade le plus aisément.
    — Monseigneur, tout ce plan me semble malaisé à admettre. Voilà quelqu'un qui veut trahir sa patrie d'adoption et qui soudain change d'avis et fait volte-face. Je serais anglais, ma méfiance serait extrême.
    — Des éléments vous échappent, dit Sartine sur le ton d'une leçon faite à un enfant. Depuis la paix, les correspondances sont libres avec l'Angleterre. Notre pion avait rompu avec sa famille là-bas. Les mois succédaient aux mois. Il leur écrit et explique ses états d'âme, il comprend la rançon de

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