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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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palpitante dans sa main. Elle continuait à pleurer le nez dans son cou. Tout soudain ne fut plus que confusion et désordre. Comme elle avait changé ! Ce n'était plus la jeune fille timide de jadis ou la pensionnaire du Dauphin couronné, mais une femme séduisante, tout affinée par des années de séparation. Il la repoussa doucement pour la mieux regarder, la découvrir à nouveau. Elle se laissa aller dans ses bras. Il n'avait prononcé aucune parole et déjà les gestes suppléaient aux mots. Enflammé, il la porta sur le lit, retrouva sa prime jeunesse en étreignant le corps semblable et différent d'Antoinette. Tous deux se livrèrent avec la même ardeur au brasier de leurs retrouvailles.
    Le temps revint de l'accalmie des sens et celui des confidences. Elle lui conta par le menu sa vie à Londres où son négoce prospérait dans l'un des passages les plus achalandés de la capitale anglaise. Elle lui fournit force détails sur ses liens avec les marchands de modes parisiennes, et en particulier la fameuse Mme Bertin, sur la qualité de la clientèle qui fréquentait sa boutique. Son langage s'était châtié à un point qui le surprit. Elle parla jusqu'à s'étourdir. Elle s'étendit sur le bonheur de sa rencontre avec Louis, si beau. Elle ne parvenait pas à se persuader du brillant destin qu'autorisaient son nom et sa position. Il la remercia de sa générosité. Elle se mit à pleurer. Il la consola, caressant ses cheveux ainsi qu'il le faisait dix-sept ans auparavant dans la soupente où ils se retrouvaient. Près d'elle il mesurait tout ce qu'elle représentait pour lui et pour cette lignée dans laquelle leur fils incarnait l'avenir des Ranreuil.
    — Quant à moi, dit-il, je dois te demander pardon. Ma brutalité à Versailles…
    Elle ne laissa pas achever.
    — Tais-toi ! J'ai souffert, mais je t'ai pardonné. Tu ne peux être cruel. J'avais tout compris, tout !
    Les heures s'écoulaient en doux entretiens, mais l'instant des adieux approchait. Antoinette disparut dans le boudoir tandis que Nicolas s'habillait. Il remarqua un monceau de ballots et de sacs accumulés dans un angle de la chambre. Des étiquettes portaient la mention de Mrs Alice Dombey, sans doute une cliente anglaise d'Antoinette. Un étui de cuir à la forme curieuse l'intrigua ; il portait l'adresse et le nom d'un fournisseur anglais qui ne lui étaient pas inconnus. Il nota le fait sans pousser plus loin sa réflexion. La mère de Louis reparut en tenue de voyage. Elle se remit à pleurer avant qu'il ne la quitte ; elle refusa d'être accompagnée jusqu'à la malle-poste de Boulogne, rue des Fossés Saint-Germain l'Auxerrois. L'émotion ne laissait pas de les attendrir.
    Rue du Bac il marcha longtemps, perdu dans ses pensées sans songer à arrêter les fiacres qui le dépassaient. Le froid piquant finit par le saisir et le tira de l'espèce de torpeur qui l'envahissait. Des sentiments contradictoires l'agitaient. Avait-il oublié Aimée d'Arranet ? Il était bien temps d'y songer ! Quelle folie l'avait-elle donc saisi ? Pourtant il se sentait innocent, aussi peu calculé avait été l'événement. Il plongea en lui-même. Antoinette suscitait en lui une tendresse et une émotion qu'il sentait liées à leur jeunesse. De surcroît, elle était la mère de Louis. À cette pensée son cœur fondait. Si ferme et capable de diriger sa vie qu'elle lui apparût, il ne pouvait s'empêcher de lui être redevable, tout en cédant au besoin de la protéger. Cela tenait-il au fait d'être son aîné de quelques années ? Se pouvait-il qu'il aimât deux êtres à la fois ? Une observation de Noblecourt lui revint en mémoire. Avait-il lu en son cœur mieux que lui-même ? L'impression fugitive le traversa qu'Antoinette touchait au meilleur de ce qu'il était, qu'elle appartenait plus que d'autres à sa propre vie, que rien jamais ne viendrait rompre le lien qui les unissait malgré les vicissitudes de l'existence. Aimée, aussi, se trouvait être plus jeune que lui… Il fallait mettre un terme à cette rumination. Il n'avait jamais su prendre les aléas de la vie simplement. Était-il responsable de ses propres contradictions ? Il eut du mal à recouvrer sa sérénité, l'esprit tant confiné dans le ressassement de pensées désordonnées.
    Enfin, il sauta dans un fiacre afin de se rendre chez son tailleur. Il souhaitait lui soumettre le tissu de l'habit porté par l'inconnu du Fort-l'Évêque. Son entrée dans le palais

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