Le camp des femmes
facilités d’évasion, meilleurs traitements, possibilité de se rendre utile, etc.
À Ravensbrück, je compris que seule la fin de la guerre me ramènerait chez moi. Le jugement me condamnant était rédigé ainsi : « Terroriste dangereuse, emprisonnement jusqu’à la fin des hostilités. » La question que je ne cessais de me poser était : « Quand les hostilités cesseront-elles ? » Aussi, lorsque j’ai su qu’en France elles étaient sur le point de prendre fin, j’ai été hantée par cette vision d’une France Libre et convalescente, et je n’ai plus pu résister à ce projet qui vivait en moi de manière latente depuis seize mois.
Je n’ai plus songé qu’à trouver le moyen de le réaliser. Laissant percevoir ce désir dans toutes mes conversations, j’ai été contactée par de nombreuses camarades désirant m’accompagner… Je dois avouer que les « raisonnables », qui avaient une certaine influence sur moi et une place dans mon cœur, m’ont suppliée de ne pas suivre cette impulsion pour le moins audacieuse et téméraire. Mais rien ne pouvait me retenir.
Je me suis donc portée volontaire pour un kommando de prisonnières qui devaient sortir du camp pour se rendre à quelques kilomètres de Fürstenberg, dans un endroit qui, je crois, sans être sûre de mes souvenirs, s’appelait Templin et où il fallait déblayer un hôpital qui avait été évacué, mais qui, ensuite, avait été démoli au cours d’un raid des Alliés.
Une camarade de block, du nom de Betty Smith, Anglaise d’origine mais ayant vécu très longtemps en Allemagne, se porta volontaire avec moi… Nous passâmes une visite avec une trentaine d’autres camarades et fûmes acceptées et désignées pour partir en « corvée extérieure de déblayage » le surlendemain.
Le lendemain soir, Betty Smith vint m’avertir qu’elle était nommée interprète au Bureau Politique du camp et qu’elle ne pourrait partir avec moi, mais qu’elle avait décidé une camarade de « betrieb » (iv) de la remplacer et qu’elle viendrait le lendemain au départ du convoi nous présenter l’une à l’autre… ce qu’elle fit.
Depuis, je n’ai jamais plus ni rencontré, ni entendu parler de cette Betty Smith qui a disparu pour moi à jamais. A-t-elle réellement été appelée au Bureau politique ? A-t-elle eu peur ? Était-elle une provocatrice ? Aucune de mes compagnes depuis ce jour ne l’a plus revue… Elle a changé de block, changé de travail, et s’est volatilisée. La camarade qu’elle m’a présentée au moment du départ se nommait Sylvie Paul, elle était environ de mon âge, belle, antipathique, très autoritaire et très vulgaire, mais parlait très bien allemand et puis… je n’avais pas le choix…
Le départ avait été fixé à 5 heures du matin pour la gare de Fürstenberg où nous prîmes un petit train du genre petit train de banlieue ; nous étions accompagnées par des « souris grises » inconnues de nous, qui étaient des volontaires. On reconnaissait assez facilement les volontaires des requises à leurs chaussures. Les requises avaient des bottes de l’armée en ersatz de cuir, alors que les volontaires avaient, en général, leurs propres chaussures. Elles étaient pour la plupart encore plus brutales et cruelles que les requises, puisque c’était un travail choisi par elles.
Cette fois-ci pourtant, nos gardiennes se montrèrent aimables et souriantes, certaines acceptaient de bavarder, et l’une qui s’occupait particulièrement de moi m’offrit une cigarette et me fit comprendre dans un mauvais anglais qu’elle était journaliste et qu’avec une camarade elles avaient demandé à accompagner le kommando afin de faire un article sur les prisonnières du Grand Reich.
Au bout de vingt minutes environ de voyage, dans une région ravissante et par un temps radieux, c’était le 28 août 1944, nous débarquâmes dans une petite gare de province, traversâmes une petite ville après avoir été comptées une fois de plus, et fûmes emmenées au lieu de déblaiement.
Le travail commença vers 7 heures, dans une bonne humeur générale… changement d’horizon… beau temps… bonnes nouvelles politiques… (pour les prisonnières), gardiennes plutôt aimables et quelques S.S. surveillant le tout, très indifférents.
À midi, ce fut la pause d’un quart d’heure avec une vague soupe de rutabaga apportée sur un petit camion citerne de cuisine ambulante.
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