Le camp des femmes
Après ce court répit, par une chaleur torride, nous fûmes renvoyées à notre déblayage qui était très dur et nous réalisâmes très vite que, terrassés par la chaleur, gardiens et gardiennes faisaient la sieste, autour de nous, dans l’herbe.
Sylvie Paul se rapprocha de moi, nous nous éloignâmes doucement et c’est ainsi que notre évasion fut consommée !
Nous eûmes quelques fils de fer barbelés à franchir, nous nous fîmes la courte échelle, nous nous écorchâmes un peu et nous finîmes par nous retrouver dans une superbe forêt où nous décidâmes d’abandonner nos oripeaux rayés sous lesquels nous en avions d’autres aussi laids, mais « civils » . Personnellement, j’avais « acheté » à une camarade qui travaillait à la corvée de « récupération » des trains d’arrivées une sorte de caraco bleu foncé, bordé de blanc, contre quatre rations de pain.
Nous enfouîmes ce que nous enlevions sous la mousse de la forêt et, après avoir repéré une route, nous nous mîmes en marche en décidant de nous séparer car nous imaginions aisément que dès qu’on s’apercevrait de notre disparition, le signalement de « deux fugitives » serait donné partout. Nous décidâmes de nous attendre à chaque sortie de village pour « conférer » et de prendre la direction de Berlin qui n’était qu’à 80 kilomètres au sud et où j’imaginais pouvoir m’adresser au service de rapatriement des prisonniers à l’ambassadeur Scapini que je connaissais très bien, comme avocat à la Cour, et ami de mon père.
Après une heure environ de marche, dans un sentiment « réel d’euphorie » , je m’avisais que j’étais très fatiguée et que je souffrais beaucoup d’un pied qui avait un abcès. Je voyais dans le lointain se profiler Sylvie Paul, qui était partie devant moi. Je décidai de me reposer dix minutes dans le creux d’une meule de foin.
À peine étais-je installée, que je réalisai qu’à vingt mètres de moi une petite route débouchait dans le champ où je me reposais et que, sur cette route, avançait une charrette de foin conduite par deux hommes… Ne pouvant plus reprendre ma route sans me faire remarquer, je m’enfonçai le plus possible dans ma meule de foin et, recroquevillée sur moi-même, espérai que la charrette passerait sans, que les deux hommes ne me vissent.
Mais je vis soudain l’attelage s’immobiliser et celui qui tenait les rênes descendre et venir vers moi. Je fis semblant d’être plongée dans un profond sommeil, mais l’homme s’approcha, me donna une tape sur l’épaule. Je l’entrevis, à travers mes paupières, prendre un air apitoyé et il prononça interrogativement le mot « krank ». Ma méconnaissance de l’allemand me permettait tout de même de savoir que ce mot signifiait « malade ». Je m’étirai et semblant sortir d’un profond sommeil, je regardai l’homme penché sur moi ; il répéta sa question en disant « sehr krank ? » (très malade), je secouai la tête et dit « nein ». À ce moment, il me dit encore interrogativement « Deutsch ? », et je lui répondis encore « nein ». Ce jeu pouvait durer longtemps, je me décidai et dis « Ich franzosen ». Il eut l’air effaré et me dit dans le plus parfait des français « mais moi aussi je suis Français ». Il se retourna et appela son camarade d’un vigoureux « Auguste, viens par ici ». Auguste s’étant précipité, nous nous expliquâmes. Ils étaient deux prisonniers français volontaires pour des travaux de ferme, bretons l’un et l’autre, ravis d’une part de rencontrer une compatriote, profondément anxieux par ailleurs de me voir ainsi lancée sur les routes allemandes avec un aussi maigre bagage de connaissances… Ils connaissaient l’existence de Ravensbrück et savaient (ce que moi j’ignorais) que des prisonnières russes évadées avaient été reprises et pendues…
Ils me demandèrent d’abord si j’étais seule, lorsque je leur montrai dans le lointain la silhouette toute menue de Sylvie Paul qui avançait sur la route, Auguste décida de courir après elle, pour que, sans aucune notion d’allemand, je ne reste pas seule en arrière et je lui donnai notre « cri de ralliement » qui était de siffler « sur les routes de France », si nous avions une « urgence » à nous communiquer. Il partit aussitôt, mais Sylvie Paul s’étant retournée, me voyant avec un homme, en. voyant un autre
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