Le Chant de l'épée
Tue-le.
— Donne-moi mon épée ! réclama
Sigefrid.
Osferth hésita tandis que je regardais le
Norse.
— Je passerai l’éternité après ma mort
dans le château d’Odin. Et là-bas, je festoierai avec ton frère, et ni lui ni
moi ne souhaitons ta compagnie.
— Donne-moi mon épée ! supplia-t-il.
Il tendit la main vers le pommeau de
Donneuse-d’Effroi, mais je la repoussai d’un coup de pied.
— Tue-le, dis-je à Osferth.
Nous jetâmes Sigefrid Thurgilson à la mer
quelque part devant Caninga, puis nous virâmes de bord pour laisser la marée
montante nous entraîner vers Lundene. Haesten était parvenu à embarquer sur un
autre de ses navires et il nous prit en chasse un moment, mais le nôtre était
plus rapide que le sien et il finit par renoncer. La fumée de Beamfleot n’était
plus qu’un long nuage bas. Æthelflæd pleurait toujours.
— Que faisons-nous ? demanda l’un
des hommes d’Erik, devenu le chef des vingt-deux survivants qui s’étaient
échappés avec nous.
— Ce qui te plaira, répondis-je.
— J’ai ouï dire que ton roi pend les
Norses.
— Alors il me pendra le premier. Vous
aurez la vie sauve, le rassurai-je, et à Lundene je te donnerai un navire et
vous pourrez aller où bon vous semblera. Vous pourrez aussi bien rester et me
servir, souris-je.
Les hommes d’Erik avaient respectueusement
enveloppé leur seigneur dans sa cape. Ils retirèrent l’épée de Sigefrid et me l’offrirent ;
je la donnai à Osferth.
— Tu l’as méritée, dis-je.
Et c’était vrai, car, dans ce chaos mortel, le
fils d’Alfred s’était battu comme un homme. Erik tenait sa propre épée dans sa
main et je songeai qu’il devait déjà être en train de festoyer en m’attendant.
J’éloignai Æthelflæd du corps de son amant et
l’emmenai à la poupe, où elle pleura dans mes bras. Ses cheveux d’or se
mêlaient à ma barbe. Elle pleura toutes les larmes de son corps, le visage
enfoui dans ma cotte de mailles ensanglantée.
— Le roi sera content de nous, dit Finan.
— Oui, répondis-je.
Nulle rançon ne serait payée. Le Wessex était
hors de péril. Les Norses s’étaient entretués et leurs navires comme leurs
rêves n’étaient plus que cendres.
— Tu me ramènes à Æthelred, n’est-ce pas ?
demanda soudain Æthelflæd d’un ton accusateur.
— Je te ramène à ton père, répondis-je. À
qui d’autre te ramènerais-je ?
Elle ne répondit pas, car elle savait qu’elle
n’avait point le choix.
— Wyrd bid ful årœd. Et nul ne doit
jamais savoir, ajoutai-je, ce qui fut entre Erik et toi.
Elle resta coite, cette fois parce que les
sanglots l’étouffaient. Je la serrai contre moi comme si je pouvais la
dissimuler aux yeux de l’équipage, du monde et de l’époux qui l’attendait.
Les longues rames battaient l’eau, les rives
se rapprochaient, et à l’ouest la fumée de Lundene souillait le ciel d’été.
Et je ramenais Æthelflæd chez elle.
Note
Le Chant de l’épée contient plus de faits fictifs que les précédents romans du cycle d’Uhtred de
Bebbanburg. Si les chroniqueurs furent étrangement muets sur la capture d’Æthelflæd
par les Vikings, c’est que cette anecdote est de mon invention. En revanche, la
fille aînée d’Alfred épousa réellement Æthelred de Mercie et tout indique que
ce ne fut pas une union heureuse. Je pense avoir été fort injuste envers le
véritable Æthelred, mais la justice n’est pas le premier devoir du romancier
historique.
Les chroniques du règne d’Alfred sont
relativement riches, en partie parce que le roi était un lettré et voulait
laisser des traces écrites, mais il n’en demeure pas moins des mystères. Nous
savons que ses armées capturèrent Londres, mais l’année exacte de l’annexion de
la cité par le Wessex reste sujette à controverse. Avec la prise de Lundene, Alfred
commença son inexorable expansion vers le nord qui devait, après sa mort, faire
du royaume saxon de Wessex le pays que nous appelons Angleterre.
Il y eut bien une attaque viking décisive sur
Rochester (Hrofeceaster), dans le Kent, qui se termina sur un échec retentissant.
Cet échec justifia la politique défensive d’Alfred avec l’édification de burhs,
des villes fortifiées sur le pourtour du Wessex garnies par la fyrd. Le système
des burhs, les bourgs, fut méticuleusement organisé, ce qui reflète selon moi l’obsession
d’Alfred pour l’ordre. Nous avons par ailleurs la
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