Le Chant des sorcières tome 2
gâté votre raison, Catarina.
— Non, elle dit la vérité, intervint Mounia. Une grande partie de ces choses est dessinée sur la carte que détient mon père.
Il se figea, la bouche ouverte. Encouragée par cette révélation, Catarina bomba le torse.
— Avec l'avènement d'un nouvel âge de glace, les créatures monstrueuses furent anéanties, privées de nourriture. Il en fut de même des trois quarts de la civilisation. Lorsque la température fut plus clémente, une autre race d'hommes se développa. Une race qui ne savait rien de l'ancien monde et n'était, elle, qu'à son balbutiement. La plupart des Géants, inférieurs en nombre, s'abâtardirent. Mais la mémoire des sages perdura partout sur la terre. Ici ou là, ceux qui étaient chargés de la transmettre ont laissé le témoignage de leur passage en bâtissant nuraghes, pyramides, temples ou pierres levées, tous gardiens d'un même souvenir. Le souvenir de cette île et des forces qui l'habitèrent du temps de sa splendeur il y a deux cent cinquante millions d'années. Une île à nulle autre pareille, barrant presque la mer intérieure que formaient les deux crocs du continent, une île bénie des dieux et qui, portée par la légende, inspira même Platon.
— Vous connaissez Platon, vous, une simple chevrière? hoqueta Enguerrand.
Catarina releva le menton avec fierté.
— Il est vrai que je ne sais ni lire ni écrire à l'inverse de vous, mais mon savoir est immense car je le tiens de ceux-là mêmes qui le possédaient et m'ont jugée digne d'être enseignée.
Enguerrand baissa le nez, s'excusa.
— Je ne voulais pas vous blesser, Catarina. Poursuivez, je vous prie.
— Bien avant le règne du premier des pharaons, les Géants n'étaient plus que quelques centaines en ce bas monde. Mais on les tenait encore en grande estime et recherchait leur savoir. Deux clans se formèrent. L'un, qui refusait d'avilir encore la race en s'accouplant avec les autochtones des autres contrées, l'autre qui, au contraire, y voyait son salut. Le premier groupe aborda nos rives et y bâtit ces nuraghes. Les siècles passant, les Géants d'ici s'éteignirent tandis que les autres, dégénérés pour la plupart, donnaient à l'Égypte un nouveau visage. Ils ne se rendirent pas compte que, leur prenant jusqu'à leur fierté, les pharaons les utilisaient de plus en plus pour de basses besognes. Devenus leurs mercenaires, les Shardanas comme on les appelait là-bas, firent couler le sang. Refusant cette ultime dégénérescence, une poignée de sages s'exila, traversa la mer et, y retrouvant des vestiges de leur grandeur, se fixa sur cette île qu'ils nommèrent Sardaigne sans avoir les moyens, hélas ! de rendre à leur civilisation ce qui autrefois avait fait sa renommée. Ils ne surent qu'en transmettre la légende. Que reprit Platon, enfonça Catarina en fusillant Enguerrand d'une autoritaire fierté.
— Et la prophétie ? osa-t-il.
— J'y viens. Mais auparavant, il vous faut savoir encore à quoi ressemblait le pouvoir en cette île autrefois appelée les Hautes Terres. Il venait d'une cité blanche au centre de laquelle des rivières enchantées naissaient, non pour se jeter dans la mer, mais pour rejoindre par le biais d'une magie puissante, d'autres endroits sacrés et invisibles. Au sommet d'une tour surmontée d'un dôme de cristal se trouvait une pièce qui ressemblait à l'intérieur de ce tombeau. Les Anciens s'y réunissaient autour d'une carte de verre sur laquelle étaient posés trois flacons pyramides qui leur donnaient le pouvoir de se régénérer. Hélas, un jour, carte et fioles magiques furent dérobées par Morlat, l'un d'entre eux à l'esprit démesuré de conquête. Son forfait accompli, caché durant une centaine d'années, il attendit que la cité se meure pour y retourner. Il n'avait pas songé que les rivières enchantées, par lesquelles il s'était enfui, disparaîtraient avec les Anciens. Il dut revenir par la mer, en s'aidant de la carte qui donnait le dernier emplacement de l'île. Des pirates le prirent. Malgré sa force titanesque, il fut terrassé. Passant de mains en mains, séparées, carte et fioles furent perdues. Des Géants encore répandus dans le monde, aucun ne put regagner les Hautes Terres. De génération en génération ils en cherchèrent le moyen jusqu'à se regrouper ici et finir, d'autant plus en souffrance que l'âme noire de Morlat a, elle, retrouvé le chemin et règne toujours sur la
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