Le Chant des sorcières tome 2
cause. Laissons-nous du temps, douce Hélène, voulez-vous ? Je trouverai le moyen de briser leur élan. Mais pour cela, je dois me protéger de mon frère, le sultan. Il me faut récupérer cet élixir qui a si bien sauvé votre Algonde.
Philippine abaissa sur lui un visage navré.
— Je voudrais vous le rendre, mais c'est hélas impossible. Elle a tout absorbé.
Il serra les dents, repris par la fatalité.
— Alors tout est perdu. Sans cette potion, tôt ou tard je mourrai.
Sa détresse poignit le cœur de Philippine.
— Abjurez votre foi, Djem. Si vous ne représentez plus une menace pour Bayezid, il vous oubliera…
Il hocha la tête.
— Je le suggérerai au grand prieur. Mais pas encore. Je ne veux pas qu'il rapproche ma requête de notre rencontre. Il est attaché à l'idée de votre mariage avec Philibert de Montoison pour lequel il éprouve une réelle affection. S'il devine mes sentiments, il s'y opposera.
Il balaya l'air d'une main vindicative.
— Allah est grand. Il ne permettra pas que je meure avant de vous avoir sauvée de ce scélérat.
Rattrapée par le souvenir de sœur Albrante, Philippine bomba le torse.
— Dieu est lui aussi de notre côté, Zizim. Je sais un endroit où se trouve un autre flacon, identique à celui dont vous m'avez parlé.
Djem blêmit :
— Un autre, dites-vous ? Le même ? Assurément ?
Elle opina du menton.
— L'élixir qu'il contient possède les mêmes propriétés.
— Deux flacons… répéta Djem, empli à la fois de doute et d'espoir.
Philippine lui prit les mains et les pressa avec ferveur.
— Il est entre les mains de l'infirmière de l'abbaye où j'ai été élevée après la mort de ma mère. Dès demain, j'irai la voir pour lui demander d'où elle le tient. Si elle refuse de me le donner, alors j'enverrai Algonde à Sassenage quérir l'aide de la sorcière. N'avez-vous pas dit que c'était une de sa race qui vous l'avait confié ? Certains secrets dépassent les frontières.
— Tel l'amour.
— Tel l'amour, Zizim.
Elle caressa l'ovale du visage, s'étonna comme tout à l'heure de la douceur du poil à sa barbe taillée en pointe de lance. Il s'emplit les yeux de la chaleur des siens. Pour la première fois depuis sa captivité, il ne regrettait plus rien. Ni son pays, ni la fourberie des hospitaliers, ni le périple auquel ils l'avaient contraint. Tout cela n'avait servi qu'à le mener là, près de cette femme dont sa vie entière dépendait. Cette femme à laquelle de tout temps il était destiné. Se faisant violence quand il aurait cent fois préféré l'enlacer, il s'écarta d'elle et se dressa, l'œil fier, le port altier.
— Je viendrai chaque jour ici au zénith du soleil. Que vous puissiez ou non m'y rejoindre. C'est ici que je vous attendrai.
Il lui tendit la main pour l'inviter à se lever.
— L'heure tourne. Il vous faut rentrer.
32
La morgue de Catarina avait rejoint la poussière des vieux murs. Décomposée, les doigts tremblants, elle avait dû s'asseoir sur une des pierres qui faisaient office de petit autel devant chacun des couloirs menant aux autres chambres funéraires. Autrefois, sans doute des offrandes y étaient-elles déposées pour accompagner les funérailles. De granit comme la stèle, elles n'étaient plus ce jourd'hui que le refuge des insectes.
Tournant et retournant le flacon pyramide entre ses doigts à la lueur de la flamme qu'Enguerrand avait piquée au mur, Catarina perdait ses yeux humides d'émotion dans son bleu intense et peu commun. S'interdisant de la brusquer quand son excitation l'exhortait au contraire, Mounia s'était rapprochée de son époux. Tous deux, le souffle suspendu à celui de la gardienne de chèvres, attendaient qu'elle se remette de ce qu'ils lui avaient appris de la carte et de leur quête. Catarina finit par lever vers eux les billes noires de ses yeux. Plus de cynisme, ni de crainte. Mais un respect qui les étonna. Indifférente à salir sa robe, Mounia s'agenouilla près de la Sarde et recouvrit le flacon de sa main, les unissant toutes deux autour de son secret.
— J'ai besoin de savoir, Catarina, moi qui viens d'un pays où les pyramides sont des tombeaux dont nul ne connaît le mystère. J'ai besoin de comprendre. Quelle est cette prophétie ?
Un sourire, le premier véritable qu'ils connurent sur les traits burinés de cette femme, étira de douceur ses lèvres fines.
— C'est une longue histoire, mes enfants. Qui remonte au temps
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