Le Chant des sorcières tome 3
Sidonie lui avait tout raconté.
Un nouveau roulement de tambour. Les cous se tendirent en direction des enclos. Les chevaliers parurent les uns derrière les autres, habillés d'armure et de leur cimier, appelés par ordre alphabétique. Quatre-vingt-quatre en tout parmi lesquels, outre Philibert de Montoison et Laurent de Beaumont, se trouvaient Aymar de Grolée, un des plus âgés mais invaincu lors des dernières joutes, Louis, le frère de Philippine, Philippe de La Tour-Sassenage, le père de Sidonie, Guillaume de Viennois, seigneur d'Ambel ou encore ce Pierre Coste, officier de la Monnaie de Romans dont les fenêtres étaient en vis-à-vis avec celle de Philippine. Reprise de curiosité en repensant à la peinture que lui en avait faite Bonnemine, elle le dévisagea lorsqu'il vint immobiliser son cheval devant leur tribune, le heaume relevé. Malgré quelques pattes d'oie qui trahissaient sa trentaine, il restait agréable de figure, l'œil vif et gourmand. Il l'enveloppa avec convoitise. Loin de lui répondre, elle détourna la tête, jugeant finalement qu'il manquait d'éclat. Tous défilèrent sans qu'elle en voie un seul capable par sa prestance d'atténuer celle de Djem. Pas même Jacques de Montbel, qui fut tellement frappé de sa beauté que ses yeux s'exorbitèrent, et qui fit dire à Sidonie :
— Parions, veux-tu, que celui-ci festoiera avec nous ce soir sans te quitter d'une semelle…
Jacques de Sassenage rajouta, amusé :
— Le comte d'Entremont est un bon parti, d'une loyauté et d'une droiture sans égales et, palsambleu ! désormais éperdument amoureux de toi. Dommage que tu sois promise, ma fille…
De fait, subjugué, il demeurait en place et il fallut l'intervention des hérauts pour qu'il poursuive son chemin.
Aux côtés de Sidonie, les sœurs Sassenage tentaient de demeurer droites et posées telles que celle-ci le leur avait recommandé et à l'exemple de leur aînée, mais une exclamation leur échappait parfois, modulée aussitôt de leurs doigts gantés plaqués sur leur bouche rose.
Lorsque tous les chevaliers furent en ligne face aux juges, un cavalier aux couleurs du baron de Clermont leur présenta un chapeau renversé, pour que le sort désigne s'ils seraient tenants ou assaillants. Vint le tour de Philibert de Montoison et de Laurent de Beaumont. Quand le héraut annonça qu'ils s'opposeraient, Marie de Dreux glissa sur son siège, vidée de son sang.
*
Harassés, fourbus. Janisse n'avait plus de salive et encore moins de mots pour se lamenter lorsqu'ils franchirent le corps de garde du château de Sassenage à la nuit tombée. On ne les attendait pas, mais en quelques minutes et bien avant qu'ils ne soient dans la cour intérieure, l'annonce de leur retour et surtout de la présence d'Algonde avait circulé. Tous sortirent de leurs maisons, Jean le panetier le premier, inquiet de la rumeur qui les disait à pied. Sitôt qu'il eut vu son bœuf et entendu que sa carriole attendait réparation au coin de la route, il s'abandonna au bonheur de les retrouver. Algonde vola de bras en bras. Janisse trouva la force de quémander le boire et le manger à ses marmitons qu'il serra sur son cœur tel un père. Le rire roula comme une eau vive. Et malgré l'heure tardive, quelqu'un proposa une veillée pour fêter l'événement.
Mathieu, lui, ne resta pas longtemps à ces effusions. Comme ses parents, Fanette était sur le seuil. Il l'avait vue, le premier sans doute. Leurs regards s'étaient accrochés. La présence d'Elora se passait de commentaires, mais il ne voulut pas se dérober. D'un pas lourd bien que décidé, abandonnant les honneurs, il se faufila parmi les gens du château pour atteindre la masure du forgeron.
Fanette y était rentrée.
— Bien le bonsoir, garçon, l'accueillit le Jeannot sans rancune.
Malgré le chagrin de sa fille, il avait trop côtoyé Algonde et Mathieu pour n'être pas content de leurs retrouvailles.
— Je n'ai plus le braquemart. Il m'a été volé à la Bâtie, lui annonça ce dernier.
Le Jeannot haussa les épaules.
— Te voilà marié ?
Mathieu hocha la tête.
— Alors tu n'as rien perdu qui m'appartenait.
— Je peux voir Fanette ?
— Si elle y consent…
Le jouvenceau passa l'huis. Trouva la mère qui le faucha d'un regard noir. Sans commentaire. Avant de hurler :
— Montre-toi, ma fille. Qu'il voie la peine qu'il te fait.
Mathieu demeura debout dans la pièce aux meubles parfumés par la cire qu'on
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