Le Chant des sorcières tome 3
venait de passer. Il en restait toujours un peu sur le chiffon après l'avoir utilisé sur ceux, splendides, des maîtres. Jamais Sidonie ne leur avait reproché de finir de l'user. Il patienta quelques longues minutes. Lui faisant sentir son mépris, Cunégonde s'était remise à l'ouvrage. Il allait repartir lorsque la tenture se souleva. Fanette avait pris le temps de se tamponner les yeux. Cernés et rouges encore, ils brillaient mais trouvèrent la force de se fixer sur lui sans ciller.
— Je suis heureuse que tu sois rentré sain et sauf, Mathieu.
— Je dois te parler. M'accorderas-tu un moment ?
— Puis-je sortir, mère ?
— C'est toi qui vois, répondit celle-ci sans lever le nez.
Fanette gagna la porte, l'ouvrit. La cour était déserte, mais des rires fusaient de l'autre côté du donjon, près de la paneterie. Un pipeau égrenait quelques notes dans l'air frais de la soirée. Résolument elle s'engagea de l'autre côté, vers la fauconnerie, comme ce soir-là où Mathieu l'avait pourchassée. Où ils avaient discuté. Il la suivit à distance. Sur le seuil de la forge, ni le Jeannot ni ses fils ne l'empêchèrent d'aller.
Fanette s'adossa au mur et le laissa venir. Sa douleur était sans nom mais, fille de courage, elle n'était pas de celles qui cèdent devant l'adversité. Il se planta devant elle, les mots en berne.
— J'ai pardonné… À cause de la petiote, ne sut-il que dire, oubliant soudain tout ce qu'il avait préparé.
— Tu le savais ? Tu le savais qu'elle portait ton petit ?
— Je l'ai appris là-bas. Je te demande pardon, Fanette.
Elle haussa les épaules.
— De quoi ? Tu ne m'as pas menti. À l'instant où tu es parti, j'ai su que je te perdais. Tu te souviens de ce que je t'ai dit l'autre nuit ? Que je préférais te voir balancer à la potence qu'auprès d'elle…
Il ne trouva rien à répondre.
— C'était vrai. Ça l'est encore. Je te souhaite d'être heureux Mathieu, tant que tu le pourras. Parce que je te connais, mieux peut-être que toi-même, et que je l'ai vue ta bécaroïlle, là, à l'instant. Elle a pris des allures de dame à la Bâtie. Toi tu as encore les mains crottées. Un jour viendra où j'aurai ma revanche…
Il recula, effrayé par son fiel. Par sa lucidité.
— Tais-toi.
Les yeux rétrécis par la douleur, elle ricana.
— Je vais l'attendre, Mathieu, crois-moi. Dans le seul endroit où je sais que tu retourneras.
Il sursauta. Oserait-elle quitter cette vie ? Rejoindre celle des brigands ? Car il le savait, c'était de leur repaire que Fanette parlait. Trop de fois elle lui avait demandé de raconter son séjour là-bas. Il s'en voulut d'avoir évoqué Villon, leur camarade d'hier.
— Ne fais pas cette folie, Fanette, tu serais perdue. Je n'en vaux pas la peine, crois-moi.
— Je te crois, le glaça-t-elle. Mais pour mon malheur je t'aime. Et à l'inverse de toi, je ne pardonne pas. Cours la rejoindre, mon beau Mathieu. Et profite bien d'elle. La prochaine fois que tu me verras, j'aurai peut-être un poignard à la main et je serai sur toi. Ou sur elle, si tu n'es pas là.
Au milieu des siens, dans les parfums retrouvés du château de son enfance, Algonde tendit son hanap à la tablée qui s'était improvisée sous les étoiles devant la paneterie. Courant en cuisine, les commis avaient rempli les paniers de charcuterie, Jean rompu sa dernière fournée.
— Que Dieu vous garde tels que je viens de vous retrouver, lança Algonde à la cantonade.
Pourquoi les jours avaient-ils perdu de cette saveur ? de cette couleur ? Pourquoi avait-elle grandi ? glissé dans le Furon ? épousé son destin ? Comme elle se sentait bien soudain d'être chez elle, loin de Marthe. Recouvrerait-elle un jour l'insouciance des banquets, la légèreté des pipeaux ? Mathieu parut, l'air triste. Tous l'avaient vu partir chez la Fanette. Tous se doutaient de ce qu'ils avaient échangé. Algonde se promit d'aller voir la jouvencelle le lendemain, non qu'elle possédât le pouvoir d'alléger sa peine, mais elle voulait qu'elle sache à quel point elle la comprenait.
Ce soir, elle avait soif de vie. Trop faim de bonheur à croquer. Mathieu se glissa sur le banc entre son père et son frère et trinqua à son tour à la petite Elora qui dormait dans la maison du panetier, juste à côté. Il espérait qu'au matin, Fanette aurait changé d'idée.
On festoya jusqu'à l'aube à Sassenage et de même à Romans. Lorsque tous furent
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