Le Chant des sorcières tome 3
les serra.
— Nous serons là, affirma-t-il. Oui. Toi et moi nous serons là.
*
« Je vous déclare unis par les liens sacrés du mariage… »
Cette phrase emplissait les rêves d'Algonde avec d'autant plus d'écho qu'elle était amplifiée par les voûtes de la petite chapelle. Le père Mancier avait, de bonne grâce, accepté la discrétion de l'hymen et l'heure incongrue de sa célébration. On dormait encore au château lorsque Algonde avait quitté sa chambre en catimini, sa mère et Philippine sur ses talons. Mathieu et le baron Jacques se trouvaient déjà là, affairés près du curé, lorsqu'elle avait passé le seuil. Choisissant parmi ses toilettes une robe moirée bordée de garance, elle l'avait adoptée pour la cérémonie sans regrets. Le temps n'était pas aux fioritures. Tromper Marthe lui suffisait. Ils en étaient convenus tous ensemble. Ne rien dire. Ne rien montrer pour ne pas attirer sur Mathieu un quelconque danger de représailles. C'était la meilleure solution. Du coup, pas de justification à donner aux courtisans de Philippine pour lesquels le veuvage officiel d'Algonde était suffisant. Tous y trouvaient leur compte.
Gersende avait laissé échapper quelques larmes d'émotion que Janisse, moins discret, avait bruyamment reprises en se mouchant. Philippine s'était troublée durant l'échange des serments, imaginant déjà les siens avec Djem. Le baron, satisfait de réparer ce qu'il avait désuni, s'était empressé de parapher le registre en qualité de témoin. Cela avait été court, sobrement égayé de candélabres allumés et d'un bouquet d'églantines, mais suffisant au cœur des épousés qui attendaient depuis toujours que leur amour soit consacré.
Au sortir de la chapelle, chacun avait retrouvé sa chambre. Il n'était pas question pour Mathieu de dormir auprès d'Algonde, si l'on voulait préserver le secret.
Le lendemain, rendant visite à Claude, son petit frère, que Sidonie choyait, Philippine s'était ostensiblement désolée de voir qu'Algonde refusait Mathieu. Elle avait annoncé qu'elle escomptait la renvoyer à Sassenage le temps des épousailles de sa mère, dans l'espoir de lui en réveiller l'envie. Marthe, présente, n'avait pas même sourcillé. Imaginait-elle ces humains trop stupides pour la duper ?
Algonde n'y croyait guère, mais jusqu'à preuve du contraire, elle s'était rangée à cette possibilité.
D'autant qu'elle avait eu une longue discussion avec le baron Jacques, sitôt que tous s'étant éparpillés, la petite chapelle était redevenue déserte. Pour garantir la confidentialité dé leurs propos, le père Mancier avait refermé sur eux les lourdes portes de la pièce.
— J'ai besoin de savoir ce que tu sais, Algonde, lui avait posément dit Jacques de Sassenage en lui prenant les mains.
Elle s'y était résolue en l'écoutant raconter ce qui s'était passé. La résurrection de Jeanne, l'altercation avec Marthe dans son bureau, son alliance avec Aymar de Grolée. Jacques de Sassenage avait choisi de lui accorder sa confiance. Elle ne pouvait en retour se dérober. Elle s'était livrée. Comme à Mathieu. Au fil de son aveu, les épaules du baron s'étaient alourdies de cette révélation dont il était pourtant loin d'imaginer l'enjeu réel.
Lorsqu'elle s'était tue, il était resté de longues minutes à réfléchir dans le silence et l'odeur de l'encens avant de tourner vers elle un visage déterminé.
— Magie ou pas, c'est ensemble que nous vaincrons. Puisque telle doit être sa destinée, je vais favoriser les échanges entre ma fille et ce prince. Et m'effacer devant cette démone le temps que les jeux soient faits. Plus grandes alors seront ma vengeance et la tienne, Algonde.
La main sur le cœur, il s'était agenouillé devant elle.
— Je suis à vos ordres, damoiselle.
— Mes ordres ? s'était étranglée Algonde devant cette incongruité.
— Il n'est pas de roi en cette terre qui ne ferait de même devant une fée.
— Une fée… avait répété Algonde avant d'admettre qu'elle l'était devenue, à part entière, grâce à l'élixir des Anciens.
Elle lui avait tendu la main pour le relever.
Deux jours plus tard, sous le regard atone de Marthe, elle prenait place sur la charrette aux côtés des siens et, tandis que Philippine se préparait à quitter la Bâtie pour Romans, elle empruntait la route de Sassenage avec pour mission de ramener ce même philtre pour Djem. Il n'en serait rien, Algonde le
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