Le Chant des sorcières tome 3

à peu pourtant ils se sont laissé dominer par les pharaons jusqu'à dégénérer et disparaître. Le dernier d'entre eux travaillait pour Imhotep. Il aida à la construction de la pyramide de Djoser.
    — Et pour… nous ? demanda Mounia.
    — J'avais onze ans à peine lorsque ma mère m'a transmis la légende des Hautes Terres. Quelques jours plus tard, alors que je protégeais déjà ce secret comme un trésor, un porteur de destin est venu vers moi.
    — Un porteur de destin ? s'étonna Enguerrand.
    — C'était un vieillard sans âge véritable, vêtu modestement et dont la barbe, plusieurs fois nouée, touchait ses chevilles. Il a pris ma main, l'a ouverte et y a fait couler du sable. « Tu auras une fille, m'a-t-il annoncé d'une voix monocorde. D'elle naîtra celui qui sauvera le roi. »
    La fébrilité gagna Mounia.
    — Le roi ? De quel roi parlait-il ?
    — De celui des Hautes Terres.
    — Vous avez dit tantôt que vous m'attendiez. Pourquoi ? Le porteur de destin ? questionna à son tour Enguerrand.
    — Oui. « Le père de l'enfant sera un chrétien », a-t-il dit…
    Un voile de tristesse balaya les yeux de Fatima tandis que sa voix se brisait…
    — « Il viendra et tu mourras », a-t-il ajouté avant de disparaître au loin.
    Un instant, cette prédiction pesa sur les épaules de Fatima et sur le cœur de Mounia, mais cela ne dura pas. Déjà le sourire renaissait sur les lèvres de leur hôtesse.
    — Allons, l'heure n'est pas aux funérailles mais aux retrouvailles. Les dieux qui vous guidèrent jusqu'ici ne sauraient les entacher. Ce soir cette maison festoiera, comme disent les Francs.
    — Une dernière question, mère. Père sait-il ce que tu viens de me confier ?
    Fatima redressa le menton avec fierté.
    — Il m'a épousée en connaissance de cause. Nos destins étaient liés. Comme vous l'a appris votre amie Catarina, Morlat, un des sages des Hautes Terres, avide de conquête et de pouvoir, subtilisa carte et fioles magiques. Ignorant les conséquences de son geste, il attendit que la cité se meure pour y revenir en maître. Hélas pour lui, les rivières enchantées s'étaient taries et il fut contraint de prendre la mer pour retrouver l'île qui servait d'ultime passage entre les deux mondes, le sien et le nôtre.
    — Grâce à la carte qui donnait le dernier emplacement de l'île, ajouta Mounia.
    — Oui. Des pirates l'abordèrent. Mais, contrairement à ce que Catarina vous a raconté, il convainquit l'équipage de le suivre jusqu'à destination. Un homme s'y opposa. Le capitaine de l'embarcation. Il fut jeté aux fers. Le lendemain, face au sort qu'on lui réservait, il fit mine de changer d'avis pour reprendre sa place et mieux examiner cette carte que le géant avait dévoilée. Quelques jours plus tard, le navire fut pris dans une tempête et brisé par le flanc. Le Géant disparut dans les vagues avec la carte et les fioles. Il n'y eut qu'un seul survivant, le capitaine, qui parvint à regagner la rive d'une île de l'archipel des Açores, agrippé à un morceau de mâture. Dès lors commença pour lui une longue quête. Reconstituer de mémoire ce qu'il avait lu sur la carte et retrouver les fioles qu'il imagina rejetées tôt ou tard par le flot. Ce savoir, il l'a transmis à son fils né d'une indigène, puis, ainsi, de génération en génération.
    — Ainsi donc…
    — Aziz ben Salek, mon mari, est le descendant du capitaine.
    Mounia comprenait mieux à présent l'excitation de son père lorsqu'il avait découvert le flacon pyramide dans les effets de Djem. Une dernière question tiraillait Enguerrand.
    — Puis-je vous demander encore comment il est possible que vous parliez ma langue avec autant de facilité ?
    Le visage de Fatima se teinta cette fois d'espièglerie.
    — Non. Il est des secrets que le cœur d'une femme, parfois, n'a pas envie de révéler.
    *
    Comme chaque soir, Houchang rabattit les pans de son capuchon sur ses joues et, prenant l'allure voûtée d'un vieillard misérable, enfila discrètement le pas d'Aziz ben Salek à sa sortie du palais royal. Il avait faim malgré les nombreuses dattes et olives qu'il avait sucées au long de la journée et s'était promis un festin dès que la demeure serait plongée dans l'obscurité. Il avait, à la vérité, perdu l'espoir de retrouver Mounia, mais le souvenir de son prince et ami le rappelait à sa quête. Jamais il n'abandonnerait Djem à ces scorpions. Jamais.
    Comme chaque