Le Chant des sorcières tome 3

voulait pas se laisser surprendre. Zigzaguant au travers de la forêt des Coulmes sur ses propres traces et prenant garde à la déclivité du sol, il finit par rejoindre la route, le cœur battant la chamade de sa découverte. Jacques de Sassenage avait vu juste. Les vieilles ruines de l'ermitage abritaient bien un souterrain. Depuis une semaine qu'il battait les vieilles pierres, il avait fini par en découvrir le secret. C'était ce jourd'hui leur seul espoir de tromper Marthe et de délivrer Jeanne. Si elle était encore en vie après douze jours de captivité. Il talonna sa monture jusqu'au castel de Saint-André-en-Royans. L'ermitage était sous sa juridiction. Et Aymar de Grolée, un ami du seigneur du lieu. Aymar eût pu sans réserve lui demander l'autorisation d'emprunter les passages sous le château. Mais il ignorait si Bernardin de Clermont en connaissait encore les accès. Et puis, compte tenu du meurtre sauvage de sœur Albrante en l'abbaye de Saint-Just-de-Claix, dont les terres jouxtaient celles de Saint-André-en-Royans, il ne voulait pas attirer l'attention sur ses intentions. Certes, les dominicains étaient repartis, mais la mère supérieure avait perdu le sommeil. Pis, elle en était parvenue au sentiment que le lieu, maudit depuis qu'elle avait procédé au faux enterrement de Jeanne, libérait à présent ses démons pour les punir. Elle passait comme les autres ses journées en prière et en jeûne. Refusant tout visiteur. Refusant même d'évoquer le nom de Jeanne de Commiers. L'abbesse en était convaincue. Des trois moniales qui avaient blasphémé six ans plus tôt, Aymonette et elle étaient les seules survivantes. Lorsque le diable viendrait les prendre, elle serait prête au sacrifice de sa vie et de son âme pour rompre la malédiction du lieu et sauver sa consœur.
    Aymar avait longuement étudié toutes les options avant de confier sa détresse à Jacques de Sassenage et de tenir conseil avec lui, isolés des regards et des oreilles indiscrètes dans la clairière qui avait si bien abrité la première rencontre de Philippine et Djem. L'isolement du vieil ermitage leur avait semblé l'approche la plus discrète. Jacques ne pouvait risquer le courroux de Marthe en ouvrant lui-même les souterrains de la Bâtie. Officiellement, Aymar de Grolée était retourné chez lui à Bressieux, régler ses affaires. Marthe ne le soupçonnait pas et Jacques évitait soigneusement de se trouver seul avec elle, tout en restant visible pour ne pouvoir être, le moment venu, soupçonné de quoi que ce soit. L'idée étant de retrouver Jeanne et de laisser croire à Marthe qu'elle s'était évadée sans aucune aide extérieure.
    Pour le reste, Aymar se tenait prêt. Jacques de Sassenage avait promis à Philibert de Montoison de publier les bans sous huitaine et de lui affréter une escorte jusqu'à ses terres situées en dessous de Valence dès le mariage célébré. Mais il était entendu que cet ignoble personnage tomberait dans une embuscade à quelques lieues de chez lui et y laisserait la vie. Une fois Jeanne en sécurité, Aymar avait renouvelé son serment : il épouserait Philippine devenue veuve pour la protéger d'autres convoitises. À moins que le prince Djem, d'ici là, n'ait obtenu de l'Ordre ce qu'il souhaitait.
    Les hautes tours du château féodal apparurent devant lui. Le soleil descendait. Un loup hurla au loin. Le premier. Bientôt ils se répondraient de place en place, faisant trembler moutons et bergers. Demain, dès l'aube, Aymar de Grolée deviendrait l'un d'eux. Tapi dans les profondeurs de la terre, armé d'amour et de patience tout autant que de sa longue épée, il rechercherait la femme qu'il avait toujours aimée.
    *
    Cela faisait deux jours à présent que Houchang guettait l'occasion. Mounia n'était pas ressortie. Il ne pouvait investir la demeure d'un haut dignitaire, assassiner froidement sa fille et récupérer le contrepoison de la sorcière sans conséquence funeste pour lui et par là même pour son prince. Se levant, il trépigna sur place pour chasser de ses jambes les picotements de l'immobilité. Un chaton aux oreilles démesurées vint se frotter en ronronnant contre ses mollets, quêtant la caresse qu'il lui avait déjà accordée à plusieurs reprises. D'un geste ample, Houchang le cueillit dans sa main épaisse et, s'adossant au mur, le porta devant ses yeux.
    — Il semble que nous soyons abandonnés tous deux par la chance, murmura-t-il en