Le Chant des sorcières tome 3

sur le dos. Le désir le tenait. Il se fit cynique.
    — Il est vrai qu'entre deux tétées d'Elora, danser, jouer, écouter les ménestrels et moucher tes prétendants a de quoi épuiser tes ardeurs…
    Refoulant la douleur qui obscurcissait son cœur depuis qu'elle avait surpris la conversation de Mathieu avec Marthe, la jouvencelle se tourna de côté et, prenant appui de son coude, cala son oreille sur sa main. Au-dessous d'elle, Mathieu boudait. Elle ne voulait pas que s'installe entre eux un véritable malaise. Après tout et malgré tout, il n'avait agi que dans l'espoir de la sauver. Elle devait s'accrocher à cette vérité. Son corps pourtant la refusait. Quelque chose en elle s'était brisé.
    — Hélène a reçu une lettre ce matin. Une lettre de Marie de Dreux, tu sais, la fille de l'homme qui a tenté d'empoisonner Djem.
    — Et alors ? En quoi ça nous concerne ? maugréa Mathieu.
    Cherchant à réinventer le désir derrière le spectre de la trahison, les doigts d'Algonde s'égarèrent sur le torse massif de son époux. Il ne desserra pas les dents.
    — Marie est promise au seigneur de Saint-Quentin qui a bien voulu renouveler son engagement malgré les derniers événements à Romans. Seulement, il est page du roi et refuse que Marie soit son épousée avant que l'exécution de son père en place publique soit oubliée.
    Le jeu des doigts dans sa toison brune commençait à dérider Mathieu. Le souffle accéléré, il murmura :
    — Si tu savais comme je m'en moque…
    — Pas Hélène. Marie lui a demandé de l'accepter à la Bâtie jusque-là. Un concurrent de son père a offert de racheter leur affaire de draperie. La vente effective, sa mère entrera au couvent. Contrainte dès lors de déménager, Marie craint que l'opprobre ne pèse plus lourdement encore sur elle. Bref, Hélène a été insupportable toute la journée à cause de cette requête.
    — Je ne vois pas pourquoi.
    — Elle en veut à Marie de la trahison de son père.
    Mathieu sursauta. Le visage qu'il tourna vers elle s'était refermé en une fraction de seconde.
    — Hélène est stupide, grinça-t-il. Peut-on être tenu pour responsable de ce que l'on subit ?
    Algonde déglutit. Bien sûr, c'était à lui-même qu'il pensait. L'évidence lui apparut soudain : sous des dehors d'indifférence, cultivant le quotidien comme un refuge, Mathieu regrettait son pacte. Elle coucha la tête sur son cœur. Il battait la chamade.
    — Non, tu as raison. C'est injuste. Hélène est injuste. C'est ce que je me suis évertuée à lui répéter, m'épuisant en discussions stériles, assura-t-elle en caressant son épaule.
    Le silence les enveloppa, ponctué de leurs souffles respectifs. Nouée, Algonde cherchait ses mots. Si elle ne les trouvait pas là, maintenant, c'était leur amour qu'elle condamnait à jamais. Le désir de sa peau. Le partage.
    — Je t'aime, Mathieu, murmura-t-elle.
    Le timbre de Mathieu se fit plainte. Désespérée.
    — Alors pourquoi tu ne veux plus de moi ?
    Des larmes piquèrent les yeux d'Algonde. Dis-le. Dis-le. Dis-le, hurla son âme. Dis-le ou perds-le encore une fois.
    — Marthe, souffla-t-elle.
    Il se durcit tout entier sous elle. La voix d'Algonde s'étrangla.
    — L'autre matin… je vous ai entendus.
    Instinctivement, comme s'il avait peur qu'elle s'échappe, il lui enveloppa les épaules pour la serrer plus fort contre lui. Son cœur, sous l'oreille d'Algonde, n'était plus qu'un grondement irrégulier qui s'engloutissait dans les soubresauts de sa poitrine.
    — Je ne peux pas, Mathieu… Je ne peux pas te laisser faire ça…
     Elle éclata en sanglots.
    *
    Sur la rive est d'une des branches du Nil qu'illuminait la clarté lunaire, la ville antique d'Onou-Lounou, rebaptisée Héliopolis par les Grecs, dressait les murs émoussés de sa double enceinte. Quelques ruines trahissaient l'importance de ce haut lieu de culte sous le règne des pharaons, mais à ce jour, ses temples et palais, pillés, tombés dans l'oubli, n'abritaient plus que quelques miséreux. Mounia les connaissait depuis toujours, ces vestiges. À plusieurs reprises, son père les lui avait montrés depuis le point culminant de la citadelle.
    — Un jour, disait-il, je te révélerai leur secret.
    — Quand ? demandait-elle invariablement.
    — Quand le moment sera venu.
    Il l'était. Indubitablement.
    — Par là.
    Jouant de la bride sur le cou du chameau pour le remettre en mouvement, Aziz reprit la tête