Le Chant des sorcières tome 3

du convoi un instant immobilisé par la sensation furtive d'un danger. Quelques longues minutes plus tard, Aziz, Fatima, Enguerrand et Mounia pénétraient dans l'enceinte. Ils longèrent quelques tumulus de sable, ruines aux bouches noires peuplées de fellahs curieux, pour abandonner finalement leurs montures à l'ombre massive et carrée d'un obélisque, près d'un porche à l'huis défoncé.
    — Des pillards, commenta Aziz, qui avait vu au fil des années l'endroit débarrassé du moindre de ses objets.
    Passé la cour offerte à la luminosité du firmament, il pénétra dans le palais plongé, lui, dans les ténèbres.
    — Une lampe à huile nous aurait été bien utile, remarqua Enguerrand en se rapprochant de Mounia.
    Dans le silence morbide du lieu, sa voix résonna tel un glas.
    — C'est dans le cœur que se tient la lumière. J'y vois ici comme en plein jour, mon gendre, et aucun obstacle ne se tient sur notre route. Ayez confiance en moi, suivez-vous les uns les autres et je vous mènerai sans faillir, lui répondit le timbre nasillard d'Aziz.
    Enguerrand s'en accommoda avec confiance. Depuis sa rencontre avec son beau-père, il avait été impressionné par l'étonnante vivacité qui émanait du personnage. Aziz, en retrouvant sa fille, n'avait été surpris de rien, tout entier à sa joie de la serrer dans ses bras. Une profonde affection les liait tous deux. Palpable jusque dans les regards qu'ils échangeaient sans cesse, leur complicité était tant évidente qu'Enguerrand comprenait mieux à présent ce que Mounia lui avait raconté de cet homme.
    Capturé au large des îles Açores lorsque des pirates prirent le navire de son père, Aziz fut vendu à l'âge de dix ans aux mamelouks, qui l'élevèrent pour le transformer en guerrier. Lorsque Keït bey, son ami, devint sultan, Aziz accéda à de hautes fonctions, convaincu que le destin l'avait mené ici pour, tôt ou tard, servir la cause de ses ancêtres. Curieux des premières dynasties qui eussent pu voir le règne des Géants, Aziz avait sillonné l'Égypte à la recherche des vestiges de leur présence. Vint pour lui l'heure d'étudier Memphis et Saqqarah, sa nécropole. Il chercha, pour ce faire, un hébergement digne de sa condition. Il le trouva sans peine auprès d'une des plus anciennes familles d'Égypte qui persistait contre toute logique à demeurer dans une bâtisse reconstruite maintes fois sur les vestiges du palais du pharaon Djoser. Au premier regard, il tomba amoureux de Fatima, la fille aînée de la maisonnée. Il la courtisa longuement, jusqu'à lui avouer l'objet de sa quête. Fatima lui raconta en retour que la légende des Hautes Terres avait été transmise chez les siens de génération en génération sous la forme d'un navire qui, dans un halo lumineux plus puissant que celui du soleil, était apparu soudainement sur les eaux du Nil. Un géant barbu en était descendu. Il avait été leur premier roi, leur premier Dieu : Râ. Elle était de son sang.
    Les destins de Fatima et d'Aziz ne faisaient qu'un. Ils le scellèrent par des épousailles somptueuses que le sultan Keït bey honora de sa présence et de sa bénédiction. La nuit de leurs noces pourtant, alors même qu'ils venaient de se coucher en la cité de Memphis, la terre d'Égypte trembla avec une telle violence qu'ils crurent leur dernière heure arrivée. Lorsque le calme fut revenu, Aziz découvrit un passage dans le sol de leur chambre nuptiale. Il s'y glissa.
    Depuis lors, et après s'être installé dans la capitale avec son épouse pour mieux remplir ses fonctions de dignitaire, il n'avait eu de cesse d'envoyer des hommes de confiance à la recherche des trois flacons pyramides. Un de ces émissaires avait vu une sorcière offrir un tel flacon à Djem du temps de sa guerre contre Bayezid. Lorsque, blessé grièvement, le prince avait perdu la bataille, Aziz avait convaincu Keït bey d'offrir l'hospitalité au vaincu, certain de pouvoir lui dérober l'objet. Il n'y avait pas réussi. Les appartements du prince dans la citadelle étaient gardés jour et nuit. Nul, pas même Aziz, ne pouvait s'en approcher. Lorsque Djem décida de réclamer l'aide de Rhodes pour reconquérir son trône, Aziz comprit que l'heure était venue pour Mounia de se trouver confrontée à son destin. Il avait suggéré à Keït bey de la donner en mariage à Djem.
    Ce jourd'hui plus que jamais, Aziz voulait retrouver le monde des Géants. Car, relayant la légende, le porteur