Le Chant des sorcières tome 3
qu'Enguerrand devinait s'enfouir profondément sous les terres. De toute évidence, il était plus ancien que le palais. Qui l'avait construit ? Pourquoi ? Comment Aziz en avait-il eu connaissance ? Où les conduisait-il ? Enguerrand gardait pour lui ses questions. Visiblement Aziz tenait à son mystère et son gendre ne voulait pas lui déplaire par trop de curiosité.
Il se contentait de suivre Mounia d'un pas égal, gêné par une odeur désagréable, impossible à identifier, qu'amenait par intermittence un léger souffle d'air. Quels qu'aient pu être les bâtisseurs de ce souterrain, il fallait leur reconnaître une belle ingéniosité pour avoir trouvé le moyen d'empêcher le sable d'obstruer les conduits d'aération.
Enguerrand en était là de ses réflexions lorsqu'une lueur habilla le bout du tunnel. Tendant le cou, il distingua enfin le plafond carré, les parois étroites veinées de sombre mais sans une once de moisissure. La pierre était intacte, comme si on avait assemblé ces blocs la veille. Surpris, il pénétra dans une salle circulaire et le fut plus encore. La réplique exacte du nuraghe de Goni qu'ils avaient quitté en Sardaigne se dressait là, devant Mounia et lui.
Haute d'au moins une toise et demie, la stèle monumentale, creusée d'une large ouverture pyramidale à hauteur des yeux, semblait soutenir le cœur de la voûte de laquelle tombaient des bouffées d'air tiède. Piqués dans les murs alentour comme autant de tentacules, des couloirs montraient leurs bouches béantes.
— Fascinant, laissa tomber Mounia en s'approchant non de la stèle, mais d'une des sept lampes qui, suspendues par de longues chaînes, baignaient la salle de leurs flammes.
En deux enjambées, son père la rejoignit.
— N'est-ce pas ? se réjouit-il. Je n'ai eu de cesse depuis vingt années de m'interroger sur leur brûlot.
— Qu'est-ce à dire ? sursauta Enguerrand.
Mounia s'était hissée sur la pointe des pieds devant une suspension de métal. Au risque de se brûler, elle plongea son index à l'intérieur de la coupelle.
— Ces lampes sont perpétuelles. Approche-toi, fils, invita le mamelouk tandis que Mounia reniflait son doigt recouvert d'une huile noire.
Enguerrand constata lui aussi le phénomène. Reconnut l'odeur qui avait accompagné leur progression. S'étonna de cette substance poisseuse de laquelle émergeait une mèche enflammée.
— Peut-on les éteindre ?
— J'en ai renversé une pour en juger, répondit Aziz en désignant un coin d'ombre. Voyez le résultat.
Ils s'approchèrent. Le sol granitique était sillonné de traces noires et poussiéreuses.
— La flamme a couru par terre jusqu'à ce que l'huile ait intégralement brûlé. Mais le plus étonnant est que la coupelle s'est remplie de nouveau en quelques mois. J'ai fini par découvrir l'origine du miracle. Une goutte tombe du plafond chaque heure, régulièrement, dans chacune de ces coupelles, entretenant le niveau. Ce depuis la construction du mastaba.
Le visage buriné d'Aziz s'égaya tel celui d'un enfant avide de gourmandises. Ses épaules rentrèrent comme sous l'effet d'un rire intérieur tandis qu'il tendait la main vers son épouse. Fatima s'approcha sans hésiter pour nouer ses doigts aux siens. Mounia détourna un instant les yeux, gênée. Jamais elle n'avait imaginé autant de complicité entre ses parents. Ils n'en avaient rien laissé paraître jusque-là.
— Comme je te l'ai souvent raconté, Mounia, reprit Aziz, fébrile, le tremblement de terre au soir de nos noces révéla une bibliothèque souterraine. Mon beau-père se trouva tout aussi étonné que moi de son existence sous sa demeure et accepta sans réserve que j'y consacre tout le temps que je voulais. J'y découvris une grande quantité d'étuis cylindriques en or ornés de hiéroglyphes. Chacun d'eux préservait plusieurs rouleaux de papyrus signés d'Imhotep, scribe, bâtisseur et grand vizir du pharaon Djoser de la IIIe dynastie.
— Je fus convaincue moi aussi, tout autant d'ailleurs que ma mère, de l'importance de cette découverte. Les dieux voulaient servir notre lignée, ajouta Fatima, radieuse.
— Il en fut un qui piqua ma curiosité, enchaîna Aziz. Un manuscrit de vingt-six pouces sur cinquante-quatre, recouvert d'une écriture différente. Visiblement beaucoup plus ancien, il était signé de trois pyramides décorées de chiffres et de glyphes.
— Le sigle des flacons pyramides, s'écria
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