Le Chant des sorcières tome 3
vous accompagnait… Je vous laisse le soin de jauger du nombre de chambres que vous désirerez.
Aymar s'égaya devant tant de perspicacité.
— Ma foi, messire, votre servante a un œil avisé. Et vous, une belle générosité.
Le bourgmestre éclata d'un rire clair en se tournant vers la petite dame qui, aussi joviale d'allure qu'il l'était, revenait en frottant ses mains sur son tablier.
— Viens donc ici, Fiona, que je te présente à notre invité.
Avant même qu'Aymar de Grolée ait compris l'impair qu'il venait de commettre, leur hôte la prenait par la main et déclarait, la voix gorgée de fierté :
— Point de servante ici, mais un trésor délicatement gardé. Mon épouse. Ma dulcinée, messire.
La main sur le cœur, Aymar de Grolée s'inclina avec honte devant elle.
— Pardonnez-moi, dame Fiona.
— Et de quoi donc, messire ? Si je voulais qu'on me traite comme une princesse, je m'habillerais comme telle, mais mes confitures n'auraient pas le goût et la saveur que tout le village leur reconnaît. Allez donc chercher votre dame. J'ai mis de l'eau à chauffer pour son bain. À voir son allure, je gage qu'elle sera ravie de s'y glisser.
Définitivement conquis par ces deux-là, quelques instants plus tard, Aymar les présentait à Jeanne et à Barbe. Fiona se déclara enchantée de leur offrir l'hospitalité. Quant à son époux, il s'inclina presque jusqu'à terre. Lorsqu'il se releva, ses yeux pétillaient.
— Je fus prénommé Grand Pierre à ma naissance, dame Jeanne. Une erreur, vous en conviendrez, que les habitants d'ici, nonobstant mes fonctions, ont eu à cœur de rectifier. Tant que vous demeurerez sous mon toit, ayez la grâce de m'appeler Petitot ainsi que mes amis le font.
Tombée aussitôt sous le charme de ces gens dont la langue du Piémont roulait, Jeanne de Commiers le lui accorda bien volontiers avant de soupirer d'aise devant la jolie chambre aux senteurs de fleurs séchées qu'on lui avait réservée.
Lorsqu'elle reparut pour dîner, plus fraîche et reposée qu'elle ne l'avait été depuis longtemps, Aymar et Petitot partageaient une discussion animée et joyeuse, confortablement installés dans la cuisine qu'embaumaient un chaudron de confiture d'airelles et un autre de soupe au lard. Le verre de liqueur que s'apprêtait à vider Aymar lui resta au bord des lèvres devant le charisme de Jeanne. Ayant abandonné son accoutrement au profit d'une des robes qu'elle avait achetées deux jours plus tôt afin d'être digne de paraître chez le marquis, les cheveux ramenés en tresse sur le léger décolleté, elle était telle soudain que par le passé.
— Dame Jeanne, votre beauté est un cadeau pour cette maison, s'exclama le bourgmestre, lui volant le compliment.
— Je voulais lui faire honneur, sire Petitot, pour vous remercier.
Aymar de Grolée avala sa liqueur. Leurs regards se croisèrent, se troublèrent. Ils les détournèrent aussitôt, pas assez vite pour échapper à la vigilance de leurs hôtes.
— Avez-vous faim, dame Jeanne ? demanda Fiona, ramenée devant le feu pour tourner la confiture.
— À dire vrai, je suis affamée, avoua celle-ci comme Barbe entrait par une petite porte de côté.
— Les chevaux sont bouchonnés, messire, annonça le colosse en se frottant les mains l'une contre l'autre, le nez en l'air, empressé autant de la soupe qui mijotait que des airelles qui glougloutaient.
Fiona bomba son torse malingre.
— Papa, dit-elle en se tournant vers son époux, entraîne donc ces seigneuries plus loin que je termine ma mijotée.
Jeanne s'interposa. La douceur de ce foyer lui réchauffait l'âme par sa simplicité.
— Laissez-moi vous aider. Je ne suis pas très douée, mais…
Fiona secoua la tête.
— Au risque de vous tacher ? Dieu m'en garde ! Mais si la compagnie de petites gens vous sied, ma foi, j'en serai flattée, ajouta-t-elle devant son air navré.
Déjà son époux entraînait Aymar de Grolée et Barbe. Elles se retrouvèrent seules devant la fournée. Fiona ouvrit un coffre et en sortit une pile d'assiettes. Elle n'hésita qu'une seconde avant de les tendre à Jeanne. De toute évidence, cette noblesse-là était bien différente de celle qu'elle connaissait. Et Fiona n'avait pas sa pareille pour apaiser le cœur de ceux qui souffraient.
Le visage de Jeanne s'éclaira tandis qu'elle prenait la pile des mains de dame Petitot. Elles s'activèrent, l'une au couvert, l'autre à sa cuisine, en
Weitere Kostenlose Bücher