Le Chant des sorcières tome 3

Jeanne en tendant vers lui une main tremblante.
    Il lui accorda deux pas, gêné.
    — J'ai pensé que peut-être vous aimeriez me confier un message pour Jacques.
    Jeanne soupira.
    — Vous ne m'avez guère laissé le temps d'y songer. Ne pouvez-vous repousser votre départ d'une journée au moins ? Le temps que je l'écrive…
    — Les élans du cœur ne prennent que quelques minutes…
    Elle ne put le nier.
    — Tournez-vous.
    Il se dirigea vers la fenêtre ouverte et balaya la nuit d'un regard triste, attentif au bruissement de l'étoffe derrière lui. Levée, Jeanne se dirigeait vers une écritoire, à l'opposé. Il perçut le glissement du tiroir sur ses charnières, le froissement du papier étalé, le tintement du capuchon de l'encrier relevé, puis le crissement de la plume. C'était une bonne chose qu'elle lui écrive. Une bonne chose, se dit-il pour ne pas s'avouer qu'il n'avait trouvé que ce prétexte pour venir la saluer. Des éclairs fulgurants, silencieux encore, crevaient par moments un plafond d'encre. Pas de lune, pas une étoile, juste ces traits de lumière dans la nuit brûlante. Et le vent qui hurlait par rafales la lugubre mélopée des pierres disjointes. Il inspira à plusieurs reprises, la gorge nouée de quitter sa terre. La seule et unique terre dont son âme s'abreuvait depuis près de trente années. Jeanne.
    Le sceau écrasa le parchemin. Une poignée de secondes encore et c'en serait terminé. Il s'inclinerait, lui souhaiterait une heureuse nuit, passerait la porte. C'était son devoir. Il l'avait bien fait.
    Les pas menus se rapprochèrent de lui. Il pivota. Du menton seulement. Bienséance. Elle était en chemise de nuit.
    Il saisit le pli qu'elle lui tendait, s'attarda sur ses traits en contre-jour. Auréolé de la lumière de la chandelle, le visage de Jeanne paraissait trembler autant que la flamme elle-même au souffle du vent.
    — Quelques mots seulement… J'ai tant à raconter, s'excusa-t-elle presque de ne pas avoir trouvé ceux qu'elle cherchait.
    — Il en sera heureux.
    Banalités. Il se sentait stupide. Stupide, vraiment.
    — Et vous, Aymar, le serez-vous ? murmura-t-elle d'une voix à peine audible.
    Il déglutit.
    — Votre bonheur m'a toujours contenté, vous le savez bien.
    — Et s'il n'était plus dans ce billet ? osa-t-elle encore, le cœur battant si fort qu'il semblait vouloir jaillir de sa poitrine.
    Le sien lui fit mal. Il détourna de nouveau la tête.
    — Taisez-vous, je vous en conjure… C'est votre époux… et mon ami… chuchota-t-il, bouleversé.
    Une rafale plus forte lui souffla au visage, coucha la flamme, la noya. Ils se retrouvèrent dans l'obscurité la plus noire.
    « Garde tes distances », hurla la raison du sire de Bressieux. « Écarte-toi », supplia celle de Jeanne.
    Ivres de trouble, ils s'effleurèrent.
    — Il ne faut pas, murmurèrent-ils ensemble avant de se jeter dans les bras l'un de l'autre et de nourrir leur souffrance d'un baiser.
    À l'aube, ils le savaient, tout serait terminé.
    *
    Philippine de Sassenage se tordait les mains avec désespoir tout en piétinant les dalles. Située au premier étage d'une des tours de l'aile ouest, non loin des appartements de Djem, la petite chapelle abritait saint François d'Assise dans son retable. Sans cesse, à la lueur des cierges qu'elle avait allumés, Philippine jetait un regard anxieux sur la sculpture de bois peint. Prière silencieuse en quête d'un miracle. Trois jours. Il ne restait que trois jours avant que l'évêque de Grenoble, déjà dans les murs, ne bénisse son union avec Philibert de Montoison. Trois jours avant qu'elle ne perde Djem définitivement. L'accord du grand maître permettant la conversion du prince à la religion catholique ne viendrait pas. Il n'y fallait plus compter. Et quand bien même, il serait trop tard pour annuler ses noces. Sa robe était faite, les victuailles emmagasinées, et déjà les invités arrivaient des quatre coins du Dauphiné.
    Garder confiance. Jusqu'au dernier moment, lui avait dit son père. Elle avait beau essayer, elle n'y parvenait plus. Rongée d'angoisse, elle ne dormait que de rares et courts moments, grignotait davantage qu'elle ne mangeait. En une semaine, il avait fallu retoucher par deux fois les coutures de ses linges tant elle s'amenuisait.
    Sans compter que Philibert ne la lâchait plus d'une semelle, empêchant tout échange avec Djem. À croire que ce sinistre individu flairait leur entente et