LE CHÂTEAU DANGEREUX
d’un fidèle serviteur, lui laissant à elle le soin de juger combien de temps un pareil secret devait être gardé ; car un fidèle serviteur doit songer aussi peu, par rapport à lui, à l’issue d’une commission dont il est chargé, qu’un ruban de soie ne s’inquiète des secrets de la lettre qu’il attache. Et quant à votre demande… je ne puis me refuser, quoique ce soit simplement pour satisfaire votre curiosité, à vous découvrir que ces vieilles prophéties semblent annoncer que des guerres s’allumeront dans Douglas-dale entre un haggard ou faucon sauvage, qui, je crois, est l’emblème de sir John de Walton ; et les trois étoiles, qui sont les armes de Douglas ; et je pourrais vous donner plus de renseignemens sur ces sanguinaires querelles, si je connaissais dans ces bois l’endroit qu’on nomme Bloody-sykes, car là aussi, à moins que je ne me trompe, se passeront des scènes de meurtre et de carnage entre les partisans des trois étoiles et ceux qui suivent le parti du Saxon, ou roi d’Angleterre. »
« J’ai entendu souvent, répliqua Gilbert Feuille-Verte, nommer ainsi un certain lieu par les naturels du pays ; cependant ce serait en vain que nous chercherions à découvrir l’endroit précis, car ces rusés d’Écossais nous cachent avec soin tout ce qui concerne la géographie de leur contrée, comme disent les savans ; mais nous pouvons mentionner ici Bloody-sykes, Bottomlen-myre, et d’autres lieux, comme des noms sinistres auxquels leurs traditions attachent quelque idée de guerre et de carnage. S’il vous convient, d’ailleurs, nous pouvons, en allant à l’église, essayer de trouver l’endroit qu’on appelle Bloody-sykes, que nous découvrirons du moins, j’en suis convaincu, avant que les traîtres qui méditent une attaque contre nous se trouvent en force suffisante pour l’oser. »
En conséquence, le ménestrel et l’archer, qui pendant cet entretien avaient eu tout le temps raisonnable pour se rafraîchir avec le flacon de vin, sortirent du château de Douglas, sans attendre d’autres hommes de la garnison, pour tâcher de découvrir la vallée qui portait le nom sinistre de Bloody-sykes, relativement à laquelle Feuille-Verte savait seulement qu’il avait entendu désigner un endroit sur un nom semblable, durant la partie de chasse faite sous les auspices de sir John de Walton, et qu’il était situé dans ces bois des alentours, près la ville de Douglas et non loin du château.
CHAPITRE XIX.
Le Défi.
Hotspur . Je ne puis choisir : quelquefois il me met en colère en me parlant de la taupe et de la fourmi, de l’enchanteur Merlin et de ses prophéties, d’un dragon ailé et d’un poisson sans nageoires, d’un griffon aux ailes rognées et d’un corbeau qui mue, d’un lion couchant et d’un chat rampant, et de mille autres balivernes, au point que ma foi en est ébranlée.
SHAKSPEARE. Le roi HENRI IV.
La conversation entre le ménestrel et l’ancien archer prit naturellement une tournure assez semblable à celle d’Hostpur et de Glendower {20} , et peu à peu Gilbert Feuille-Verte y prit une part plus considérable que ne semblaient le lui permettre ses habitudes et son éducation : mais la vérité était, qu’en se donnant mille peines pour se rappeler les armoiries des chefs militaires, leurs cris de guerre, leurs emblèmes et les autres signes par lesquels ils se distinguaient sur les champs de bataille, et qui devaient indubitablement être indiqués dans les rimes prophétiques, il commençait à éprouver ce plaisir que ressent presque tout le monde, quand on découvre soudain en soi une faculté dont les circonstances nécessitent l’emploi, et dont la possession augmente à ses propres yeux l’importance de celui qui se la reconnaît. Le bon sens profond du ménestrel fut certainement un peu surpris des bévues qui parfois échappaient à son compagnon, tandis qu’il était entraîné par le désir, d’une part, de faire parade de la nouvelle faculté qu’il s’était découverte, et de l’autre, de rappeler à son esprit les préventions qu’il avait nourries toute sa vie contre les ménestrels, qui, avec tout leur cortége de légendes et de fables, devaient d’autant plus probablement être faux qu’ils venaient presque tous du Nord.
Tandis qu’ils passaient d’une clairière de la forêt à une autre, le ménestrel commença à être étonné du nombre de pieux Écossais qu’ils rencontraient
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