Le cheval de Troie
réveiller juste avant les premières lueurs de l’aube et m’emmena chez lui. Sur la table était posé un gros paquet enveloppé de toile. Je le défis sans enthousiasme, pensant que ce serait une bonne armure – recouverte d’or, bien sûr, mais rien de comparable à celle que portait désormais Hector. Mon père et moi avions toujours pensé que cette armure était la plus belle armure de Minos.
C’était peut-être vrai, mais l’armure que me tendit Ulysse était plus magnifique encore.
Je donnai un coup sur l’or sans défaut qui renvoya un son grave, assourdi. Poussé par la curiosité, je retournai le pesant bouclier pour découvrir qu’il n’était pas comme les autres boucliers, épais et constitué de plusieurs couches. Il semblait n’y avoir que deux couches, un placage en or couvrant une seule épaisseur de métal gris foncé qui ne brillait pas à la lumière de la lampe.
J’en avais entendu parler, mais jamais auparavant je n’en avais vu, sauf à la pointe de ma lance, la Vieille Pélion. Je n’avais pas cru qu’il en existât en quantité suffisante pour forger une armure complète, qui plus est de la taille de celle-ci. Chaque partie était faite de ce même métal et doublée d’or.
— Dédale l’a fabriquée il y a trois cents ans, expliqua Ulysse. C’est le seul homme de l’histoire qui ait su durcir le fer, en le mêlant à du sable dans le creuset pour qu’il en absorbe une partie et devienne plus dur que le bronze. Il a ramassé du minerai de fer jusqu’à en avoir assez pour couler cette armure, puis il a martelé l’or par-dessus. Si une lance entaille la surface, on peut lisser l’or à nouveau.
— L’armure a appartenu à Minos ?
— Oui, à ce Minos qui, avec son frère Radamanthe et ton grand-père Éaque, siègent dans l’Hadès pour juger les morts assemblés sur les rives de l’Achéron.
— Je ne sais comment te remercier, Ulysse ! Quand ma vie atteindra son terme et que je me trouverai devant ces juges, reprends cette armure et donne-la à ton fils.
— À Télémaque ? dit Ulysse en riant. Non, il ne sera jamais assez grand pour elle. Donne-la plutôt à ton fils.
— On voudra m’enterrer vêtu de cette armure. Il t’appartiendra de veiller à ce qu’elle revienne à Néoptolème.
— J’agirai comme tu le souhaites, Achille.
Automédon m’aida à me préparer pour le combat, tandis que les esclaves marmonnaient des prières et des formules magiques pour éloigner le mal et donner pouvoir à l’armure. Quelle que fût la direction dans laquelle je me tournais, je brillais de tous mes feux, pareil à Hélios.
Agamemnon s’adressa à nos officiers rassemblés, qui tous gardèrent un visage de marbre. Puis j’acceptai les plates excuses du grand roi. Sur quoi Nestor me rendit Briséis. Point de Chryséis. Je ne pensais pourtant pas qu’on l’eût conduite à Troie. Enfin nous nous dispersâmes pour manger, perdant ainsi un temps précieux.
La tête haute, Briséis marchait à côté de moi sans mot dire. Elle avait l’air malade et épuisée, plus bouleversée encore que lorsqu’elle avait quitté avec moi Lyrnessos en flammes. Dans le camp myrmidon, nous passâmes à côté du corps de Patrocle. Briséis tressaillit.
— Viens, Briséis, lui dis-je.
— Il a combattu, quand toi tu t’y es refusé ?
— Oui, et Hector l’a tué.
Cherchant un peu de douceur, je regardai son visage. Elle souriait, d’un sourire qui reflétait un amour authentique.
— Mon cher Achille, tu es si fatigué ! Je sais combien il comptait pour toi. Mais tu as trop de peine.
— Il est mort en me méprisant. Il a renié notre amitié.
— C’est qu’il ne te connaissait pas vraiment.
— Je ne peux rien t’expliquer à toi non plus.
— Ce serait inutile. Quoi que tu fasses, Achille, tu as raison.
Nous sortîmes en franchissant les gués et nous nous alignâmes dans la plaine. Les Troyens étaient face à nous, sur plusieurs rangs. Dans un fracas de tonnerre, Hector surgit de l’aile droite sur un char tiré par trois étalons noirs. Il était magnifique dans mon armure. Je remarquai qu’il avait ajouté des crins écarlates au plumet doré du casque. Il s’arrêta en face de moi ; nous nous lançâmes un regard pénétrant de défi véritable. Ulysse avait gagné son pari. Un seul quitterait vivant le champ de bataille. Nous le savions tous deux.
Un curieux silence nous enveloppa. Pas un son ne provenait
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