Le cheval de Troie
Agamemnon a convoqué un conseil à midi. Les soldats sont trop fatigués pour se préoccuper des relations que tu entretiens avec lui. Viendras-tu ?
— Oui, répondis-je en serrant la main glacée de Patrocle.
Automédon prit ma place auprès de lui pendant que j’allais au conseil, encore vêtu de mon pagne de cuir boueux. Je m’assis à côté de Nestor, l’interrogeant du regard. Antiloque était présent ainsi que Mérione.
— Antiloque a tout deviné d’après quelque chose que tu lui as dit hier, murmura le vieil homme. Mérione a deviné en entendant Idoménée jurer pendant la bataille. Nous avons décidé qu’il était préférable de les mettre tous deux dans la confidence et de les lier par le même serment.
— Et Ajax ? A-t-il deviné ?
— Non.
Agamemnon était inquiet.
— Nos pertes ont été colossales, constata-t-il tristement. D’après mes informations, nous avons perdu quinze mille hommes, morts ou blessés, depuis le début des combats contre Hector.
— Colossales est le moins qu’on puisse dire ! intervint Nestor en secouant la tête. Oh, si seulement nous avions Héraclès, Thésée, Pélée et Télamon, Tydée, Atrée et Cadmos ! Les hommes ne sont plus ce qu’ils étaient. Avec ou sans les Myrmidons, Héraclès et Thésée auraient remporté la victoire.
Il s’essuya les yeux de ses doigts ornés de bagues. Pauvre vieillard ! Il venait de perdre deux fils dans la bataille. Pour une fois, Ulysse se mit en colère.
— Je vous avais avertis ! s’exclama-t-il. Je vous ai expliqué clairement ce qu’il nous faudrait subir avant d’apercevoir les premières lueurs du succès ! Nestor, Agamemnon, de quel droit gémissez-vous ? Nous avons perdu quinze mille hommes, mais Hector en a perdu vingt et un mille ! Cessez de rêvasser ! Aucun de ces héros légendaires n’aurait pu faire la moitié de ce qu’a fait Ajax, de ce que vous tous ici présents avez fait. Oui, les Troyens se sont bien défendus ! Espériez-vous qu’il en irait autrement ? C’est Hector qui les soutient. Si Hector meurt, ils n’auront plus la force de combattre. Et où sont leurs renforts ? Où est Penthésilée ? Où est Memnon ? Hector, lui, n’a pas de nouvelles troupes à mettre sur le terrain, alors que nous avons près de quinze mille Thessaliens parmi lesquels sept mille Myrmidons. Demain nous battrons les Troyens. Peut-être n’entrerons-nous pas dans la cité, mais nous aurons acculé ses habitants au plus profond désespoir. Hector sera sur le champ de bataille et Achille aura une chance de le combattre. Je mise tout sur toi, Achille, termina-t-il, l’air confiant.
— J’en suis sûr ! railla Antiloque. J’ai compris ton stratagème. Pour que ton plan réussisse, il fallait que Patrocle meure. Pourquoi as-tu tellement insisté pour qu’Achille demeurât en dehors des opérations, même après qu’on eut laissé les Myrmidons participer au combat ? Était-ce réellement pour faire croire à Priam qu’Achille ne céderait jamais ? Ou était-ce pour insulter Hector en lui opposant Patrocle, un adversaire inférieur ? Dès l’instant où Patrocle a pris le commandement, c’était un homme mort. Il était à la merci d’Hector, cela ne faisait aucun doute, et Hector l’a eu. Patrocle est mort, comme tu l’as toujours voulu, Ulysse.
Je me mis debout, le crâne près d’éclater en entendant les paroles d’Antiloque. Je levai les mains vers Ulysse, tant j’avais envie de lui rompre le cou. Mais elles retombèrent et je me rassis, sans plus de forces. Ce n’était pas Ulysse qui avait eu l’idée de revêtir Patrocle de mon armure. C’était moi. Comment pouvais-je blâmer Ulysse ? Tout était ma faute.
— Tu as à la fois raison et tort, Antiloque, déclara Ulysse imperturbablement. Comment pouvais-je savoir que Patrocle mourrait ? Lesort d’un homme dans la bataille ne dépend pas de nous. Il est entre les mains des dieux. Pourquoi a-t-il trébuché ? Peut-être un des dieux qui soutiennent les Troyens a-t-il tendu le pied. Je ne suis qu’un mortel, Antiloque. Je suis incapable de prédire l’avenir.
-- Je voudrais vous rappeler, intervint Agamemnon en se levant, que vous avez tous juré de vous en tenir au plan d’Ulysse. Achille savait ce qu’il faisait en prêtant serment. Moi aussi. Nous tous aussi. Nous n’avons pas été contraints, aveuglés ou bernés. Nous avons décidé de suivre Ulysse parce que nous n’avions pas
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